Les auteurs de BD pour commencer, puis tous les auteurs derrière, entendent prévenir les dérives pour leurs droits que le passage au tout numérique risque d’entraîner. Ils ont raison, bien sûr, mais leur appel, peut-être surtout par sa formulation et ses sous-entendus conservateurs, me dérange.

Les auteurs déplorent que les initiatives éditoriales partent dans tous les sens -imposent leur cadre- sans plus aucun cadre légal adapté et protecteur des auteurs.

Comment pourrait-il en être autrement puisque personne ne sait où nous allons ? Nous devons plébisciter le « dans tous les sens. » et nous devons en être les artisans. Auteurs comme éditeurs doivent inventer l’avenir. Si nous figeons aujourd’hui un cadre, nous nous étoufferons nous-mêmes. Vigilants, refusons les propositions inacceptables, conservons nos droits numériques plutôt que les brader, mais ne nous enfermons pas.

Comment l’éditeur va-t-il adapter au numérique les usages établis de l’exploitation permanente et suivie qui sont au cœur de son métier : vente active, promotion, disponibilité permanente du « produit » ?

Cette phrase en particulier et presque tout le texte m’ont fait tiquer. L’appel me semble reposer sur le postulat : une œuvre égale un éditeur. Je crois qu’il est temps de le remettre en cause.

Revenons un peu en arrière. Jadis les livres n’étaient disponibles que chez leur éditeur/imprimeur. Une source unique. Puis apparurent les points de vente. La source se ramifia. N’est-il pas temps de démultiplier les sources ? Pourquoi une même œuvre n’aurait-elle pas plusieurs éditeurs ? N’est-ce pas déjà le cas quand un éditeur publie la version reliée et un autre la version poche ? Ne devons-nous pas généraliser ce procédé ? Un éditeur pour le numérique ? Un éditeur pour l’audio ? Un éditeur pour le papier de qualité ? Un éditeur pour le papier économique ?

Les auteurs doivent dorénavant négocier leurs droits de manière étroite. Le temps où une seule entreprise était capable de veiller à leurs intérêts est révolu. Il me paraît illusoire de croire qu’un seul éditeur excellera sur tous les terrains. Vendre un livre dans une librairie ne demande pas les mêmes compétences que de le vendre en ligne, domaine où les propulseurs règnent en maître (et où l’idée même de payer s’est quelque peu diluée).

Il est temps de repenser la chaîne du livre, résumée par ce graphique publié dans L’Express, pour en faire la chaîne des œuvres. Pour un auteur qui s’autopublie en ligne, le graphique prend une tout autre coloration.

Apple ponctionne 30 % des revenus. Ce modèle devrait se pérenniser. Il reste donc 70 % à l’auteur. S’il vend ses livres à 5 euros en ligne, il gagne toujours plus que dans le circuit traditionnel. Potentiellement, quatre fois plus de livres pourraient être vendus et quatre fois plus d’auteurs pourraient gagner leur vie. Et si on prend en compte le piratage inévitable, au moins autant d’auteurs qu’avant vivront de leur travail.

Retour à la réalité. Ce modèle de l’auteur solitaire qui lutte seul contre tous ne marchera que dans de rares cas. Encore une fois, peu d’auteurs uniront toutes les compétences. Vendre en ligne demande du talent. Il faut donc bel et bien ajouter dans la chaîne un propulseur. Il faut également ajouter quelqu’un qui aidera l’auteur à finaliser son travail, à le mettre en forme, à le packager transmédia (eBook, audio, papier…).

Aujourd’hui, l’éditeur est supposé posséder la double compétence, d’éditeur du texte (ou de l’œuvre) et de propulseur. J’imagine qu’il pourra maîtriser la propulsion dans un ou l’autre des domaines, mais en aucune manière dans tous. Nous aboutissons à une nouvelle chaîne (qui implique un prix des œuvres autour de 10 euros pour maintenir l’auteur à un revenu digne).

En conséquence, un auteur aura bien toujours un seul éditeur, c’est-à-dire un packageur, mais sans aucun doute il aura plusieurs propulseurs. Son éditeur pourrait même dans certains cas se décharger de la totalité de cette tâche. Il se transformerait alors en agent, cherchant pour les différents canaux de diffusion des solutions optimales.

Je pense tout haut. En tant qu’auteur, il nous faut donc établir un premier contrat avec un éditeur (selon la nouvelle acceptation que je viens de définir). Genre partage à 50-50 des revenus que dégageront les différents propulseurs avec lesquels il travaillera. Auteur et éditeur doivent être partenaire dans la création du produit. Ils doivent s’entendre sur la méthode de partage des revenus, indépendamment du mode de propulsion.

Un éditeur qui se contentera de payer les frais de corrections et de nouer un contrat avec un diffuseur n’aura plus beaucoup de valeur ajoutée. L’auteur sera libre de le court-circuiter et de négocier avec les différents propulseurs. Une nouvelle gamme de modalités devrait apparaître, de l’autopublication au direct propulseur. Cette diversité forcera chacun des acteurs à exceller dans son travail, sinon plus de cacahuètes. Les auteurs ont une chance de se retrouver avec plus de choix, pour peu qu’ils ne se laissent pas cadenasser dès le départ.