En août dernier, après une semaine de vacances dans les Pyrénées, je rentrais avec en tête l’essentiel de L’alternative nomade et je publiais un billet intitulé Vers un Web sans site Web où j’utilisais pour la première fois le mot propulseur dans le sens que de plus en plus de gens lui donnent aujourd’hui. Mon idée, une idée dans l’air du temps, était que l’information allait se délocaliser, se détacher des URL, naviguer librement dans le cyberspace, un peu comme une cellule dans un organisme. Un texte pourrait se démultiplier, se répandre, parfois s’accrocher en certains endroits, disparaître ici, revenir là.

Dans une certaine mesure, ce phénomène se produit déjà avec les textes que nous publions dans nos blogs, repris en divers endroits à partir des flux RSS. Nos blogs ne sont plus que des bases de lancement et peu importe l’endroit où nous sommes lus, du moment que nous sommes lus.

Si ce mouvement se confirme, tout le business actuel de la presse en ligne explose, ce business mort-né qui tente de monétiser un lieu de lecture, voire quelques lieux de lecture avec l’arrivée des tablettes. Rêve totalitaire de nous attacher à un lieu du Web. Il casse aussi le rêve censorial des gouvernements, cette volonté de contrôler l’accès à ces lieux virtuels. Une nouvelle fois l’information se libère, elle s’échappe des carcans que nous tentons de lui imposer pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

Difficile de résister à cette utopie. Depuis quelques semaines, je joue avec le format ePub, pour me détendre, oui pour moi la programmation est un loisir par rapport à l’écriture. Je voulais tout d’abord convertir mes textes pour les rendre lisibles sur tous les supports. Puis j’ai réalisé, que sous la forme d’un ePub, un texte s’est effectivement libéré de sa source. Une fois qu’un lecteur l’a téléchargé, il en fait ce qu’il en veut. Il peut lui-même le propulser. Non seulement en pointant vers la source, comme c’est le cas avec le Web, mais transmettre effectivement le texte plus loin, le joindre à un mail, le publier sur Facebook, Twitter, ailleurs dans les nuages… Un peu comme nous le faisons dans le monde physique avec les livres, mais des livres que nous pourrions photocopier à l’infini et sans effort.

Le Web m’apparaît alors comme la structure topologique du monde sur lequel circuleront nos contenus qui ne s’y accrocheront pas forcément, mais sauteront d’individu en individu, au cours d’une navigation avant tout sociale. Le flux, c’est le mouvement des cellules. Le Web, c’est l’organisme où le flux se manifeste.

L’ePub n’est à ce jour qu’un moyen d’expérimenter cette propagation. J’envisage pour prolonger l’expérience, toujours pour me détendre, de développer un service qui convertirait n’importe quel flux RSS en ePub. Imaginez : vous indiquez l’adresse d’un flux, vous récupérez un ePub des articles présents dans le flux, vous les lisez alors dans un tout autre contexte que celui de sa propulsion initiale (et sans plus aucun lien avec elle). Vous avez créé une nouvelle cellule jumelle, provoqué une mitose à partir d’une cellule souche.

Dans ces cellules, nous retrouvons une forme de continuité propre au livre, plus épaisse, qui accepte des textes bien plus longs, qui les fait s’enchaîner… et qui sera fatale à tous les auteurs qui se dispersent sans la moindre cohérence. Si un ePub ainsi généré vous passionne, vous pourrez alors le propulser.

J’imagine des fonctions plus élaborées comme le filtrage d’un fil pour encapsuler des articles cohérents et créer des espèces de revues dynamiques. Pour aller plus loin, il faudrait que je développe un plug-in pour WordPress, qui permettrait au blogueur lui-même de créer diverses compilations de ses textes encapsulées au format ePub. Chaque compilation serait autant de bouteilles à la mer.

Pierre Fraser, le roi de la dindification, remarquait il y a quelques jours que nous relisons pour ainsi dire jamais un article d’un blogueur, alors qu’il nous arrive de replonger dans des livres. Franchement, le blog pratiqué de manière fugitive, à la manière de cette presse moribonde, m’insupporte. Je ne lis pas ce qui ne s’accroche pas. Je n’en ai pas le temps, je n’éprouve en général ni plaisir esthétique, ni échappée intellectuelle. Je préfère me confronter à une pensée en train de se faire et qui explore des choses indistinctes pour elle-même.

J’ai l’espoir qu’en créant des cellules autonomes dans le cyberspace, en leur donnant en quelque sorte une matérialité pas si étrangère à celle du livre, nous réussirons à créer des contenus plus cohérents et plus durables, des contenus qui deviendront les classiques de demain.

Je rêve que ces cellules se parlent, s’auto-enrichissent de commentaires, se socialisent en elles-mêmes, à l’intérieur de leur peau et continuent à naviguer, à se répandre, s’attacher à un service ou à un autre, reposant sur un format de fichier social, ouvert et libre.

Imaginez : vous ouvrez une capsule, vous découvrez le texte et tout son écosystème, vous avez plongé dans un autre monde, un Web dans le Web, un Web portable, connecté avec l’extérieur comme un organisme et, en même temps, intègre et cohérent. Toutes les cellules issues d’une même souche formeraient une société. Les contenus eux-mêmes dialogueraient et ils ne seraient plus prisonniers des services, qui à la mode 2.0, tentent de les phagocyter.

Oui, le temps des propulseurs est venu et la technologie des propulseurs arrive aussi.