Pierre Fraser a publié un billet intitulé Esclavage moderne : enchaînés aux milliers de fils invisibles de la communication qui a laissé croire qu’il contredisait mon théorème : la liberté, c’est le lien.

Pierre parle en fait des liens imbéciles, de ces liens maître-esclaves, liens de dépendance, qui nous attachent plus qu’ils nous libèrent. Je parle des liens qui véhiculent les interactions du flux, qui en sont la colonne vertébrale, des liens réciproques et vivants.

Par exemple, mon lien avec Pierre, qui ne se résume pas à des hyperliens entre nos blogs, mais aussi à des conversations, des lectures croisées. Je pense aux liens avec mes amis, avec ceux avec qui j’interagis, aussi bien en ligne qu’in real life. C’est pour cette raison que chaque fois que je vais à Paris j’essaie de rencontrer des gens que je ne connais pas et que j’en fais l’annonce publique (même si parfois les contraintes de temps ne me laissent pas nouer autant de liens que j’aimerais).

Je connais beaucoup d’infovores, liés aux médias dont ils absorbent continuellement les inepties. Ce lien bien évidemment ne les libère pas, pas plus que le lien avec la coke ne libère le cocaïnomane.

Le lien ne devient réciproque que si le récepteur d’une information peut réagir avec son émetteur dans une boucle constructive, qui se traduira peut-être par de nouveaux articles et de longues conversations en terrasse de café. C’est sur ce mode que j’ai toujours conçu le blog, un exercice de communication bidirectionnelle. Et je déteste la presse parce qu’elle ne me fait pas entrer dans cette dimension, me laissant dans le fauteuil du consommateur passif qui ne peut que s’énerver dans son coin (ou poster des commentaires sans conséquence sur des sites sans conséquence).

Je suis contre les phénomènes de masse, la diffusion de masse… favorisée par les capitalistes qui cherchent à maximiser leurs bénéfices selon des processus incompatibles avec la réciprocité. D’ailleurs quand quelqu’un prête de l’argent à quelqu’un d’autre, il attend de lui d’être remboursé avec un bénéfice, la loi l’impose, elle impose un lien maître-esclave. Créer une entreprise en s’appuyant sur ces mécanismes, c’est mal partir dans la vie, c’est partir esclave.

Les liens ne participent à la liberté que s’ils contribuent à la complexification sociale. Les liens de dépendance – à la technologie, à la religion, à la drogue, au travail… – ne font au contraire que nous enfermer dans les comportements prédictibles, donc réduisent la complexité et nous transforment en victimes de tous ceux qui cherchent à imposer leur contrôle.

La technologie en elle-même n’est pas mauvaise, bien au contraire. Si nous l’utilisons judicieusement, elle nous aide à construire des liens réciproques. Mais à une condition : que nous soyons des usagers avertis. J’en reviens comme toujours à ce problème de l’éducation, à la nécessité que ceux qui savent apprennent à ceux qui ne savent pas encore… et c’est ce processus qui est le plus lent, bien plus lent que l’évolution technologique elle-même. Cette différence de rythme peut engendrer des mouvements de masse absurde, comme cette ruée aveugle et irréfléchie des internautes vers Facebook, ce qui implique un assèchement du reste de l’univers numérique, l’affaiblissement des liens réciproques au profit de vagues conversations qui frisent le degré zéro de « l’humanitude ».