En France, on a Finkielkraut et Slate.fr, ailleurs ils ont Morozov et Slate.com

Le bonhomme a le mérite de critiquer Internet, ça ne fait pas le lui un héros, mais ça ne fait jamais de mal. Pour mieux critiquer, Morozov fait dire n’importe quoi au sujet d’Internet, ou il cherche qui l’a dit, et alors il annonce que c’est n’importe quoi. Vous avez saisi la rhétorique dont Slate.fr vient de se faire l’écho.

C’est un peu comme quand ont me dit qu’Internet ne nous libèrera pas et que donc toutes mes idées s’écroulent. Un esclave n’attend pas d’une pince monseigneur qu’elle le libère, mais que celui qui possède la pince lui brise sa chaîne. C’est plutôt ce que je dis, que nous disposons d’une nouvelle pince monseigneur et que nous devons songer à l’utiliser. Nous pouvons aussi nous décapiter avec ou nous contenter de la laisser pourrir dans un coin de notre remise à bordel. Je propose un usage et des méthodes pour mieux travailler avec la pince. Que d’autres disent qu’on peut faire autre chose avec, ou ne rien faire, ne contredit pas ce que je dis.

Morozov c’est un peu le mec qui va voir un sculpteur et que lui tient un discours alarmiste sur ses marteaux et ses burins. « Et alors ? » lui répondra le sculpteur. « C’est une nouveauté pour vous que nous puissions nous entretuer avec tout ce qui nous passe par la main. Même avec une sculpture on peut tuer. »

Il me paraît plus intéressant de penser comment vivre ensemble et comment construire ensemble, d’imaginer l’avenir. Je ne comprends pas pourquoi des gens comme Morozov peuvent intéresser. En fait, je comprends très bien. Ils adressent notre peur du changement, ils en font leur business. En conséquence, on les considère comme des penseurs importants alors qu’ils refusent de penser, qu’ils ne font que répéter des banalités déjà dites à propos de tout en tout temps.

Morozov manque vraiment d’imagination. Pour preuve, il ne trouve que sept choses fausses proférées au sujet d’Internet.

Internet a toujours œuvré pour le bien.

Tout d’abord qui a dit ça. Et même si quelqu’un l’avait dit, ça n’engagerait que lui. Le véritable sujet c’est « Comment utiliser Internet pour œuvrer pour le bien ? » Morozov devrait plutôt nous aider à réfléchir à cette question. Il n’est d’ailleurs pas sûr qu’Internet nous soit d’une quelconque utilité pour cette tâche. Je ne parle même pas de la difficulté de définir ce qu’est le bien.

Grâce à Twitter, on va renverser les dictatures.

Je me suis déjà expliqué à ce sujet. Un service centralisé n’est pas un bon outil pour lutter contre un gouvernement centralisé. Il n’y a que des imbéciles pour ne pas voir cette évidence. En revanche, une multitude de forces de décentralisation peuvent déboulonner une dictature, la guérilla généralisée est une alternative au coup d’État.

Google défend la liberté sur Internet.

Ha ! Ha ! Ha !

Avec Internet, les gouvernements ont davantage de comptes à rendre.

Non, avec Internet ils peuvent plus facilement rendre des comptes s’ils en ont envie.

Internet stimule la participation politique.

Mais qu’est-ce que la participation politique ? Comment on la mesure ? Faire de la politique est-ce s’engager dans un parti et aller voter ? Si on regarde les choses comme ça, Internet ne changera rien au contraire. Mais si nous nous mettons à créer des liens, à multiplier la complexité sociale, nous sommes en plein activisme politique, un activisme qui échappe à toutes les grilles de lecture actuelles. Ce que je sais, c’est que certains d’entre nous voient comment utiliser Internet pour faire la politique dont ils ont envie. Nous verrons bien si nous réussissons à créer un mouvement de grande ampleur.

Internet, c’est la mort de l’actu internationale.

C’est la mort du journalisme tel que nous le connaissions sans aucun doute, mais pourquoi ne parlerait-on plus de ce qui se passe dans le monde ? Mais qui a proclamé ces inepties que dénonce Morozov. Remarquez : il évite de citer en général. Et pourquoi ? Parce que s’il le faisait, son propos deviendrait beaucoup moins universel, beaucoup moins impressionnant.

Morozov joue dans la catégorie des idéalistes platoniciens. Il lui faut de grands principes à conspuer pour s’imposer lui-même en grand. Malheureusement pour lui, Internet est un outil assez pratique pour lutter contre les généralités.

Pas étonnant que Morozov réclame de grands arbitres. Il aimerait en être un. Toute sa rhétorique totalitaire, car c’est lui le totalitaire comme tous les idéalistes au fond, appelle à des instances de régulation.

Internet nous rapproche.

Encore une fois personne n’a osé dire une chose pareille, sinon pour faire vite. « Grâce à Internet, nous pouvons nous rapprocher. Comment faire ? » Quand je dis que la liberté, c’est le lien, oui, à condition que nous bataillions pour créer des liens de qualité. Les liens ne tombent pas du ciel juste parce que nous avons une connexion Internet.