Les clichés ont la vie dure. Bill Gates à vingt ans incarnait le parfait informaticien. Malingre, boutonneux, lunettes à double foyer, intelligent, mais pas très sociable.

Et les femmes dans ce monde ? Il n’y en aurait pas ? Pourtant, le premier programmateur de tous les temps ne fut pas un homme, mais la comtesse Ada Lovelace.

Elle naquit en 1815 d’une relation incestueuse entre Lord Byron et sa demi-sœur Augusta Leigh. Byron ne manifesta aucune joie à l’idée d’avoir une fille. En 1816, il quitta l’Angleterre pour ne jamais y revenir.

Ada connut une jeunesse maladive. Des maux de tête obscurcissaient sa vision. Elle souffrait de paralysies passagères. Sa mère la poussa à étudier les mathématiques pour la détourner du monde littéraire où avait trempé Byron. La femme de science Mary Somerville devint la tutrice d’Ada. Elle la présenta plus tard à Charles Dickens, Michael Faraday et, surtout, au mathématicien Charles Babbage.

Entre eux aucune relation amoureuse. Ada se maria bientôt au compte de Lovelace, eut deux filles et un fils, tout en correspondant avec Charles. Il la surnommait l’enchanteresse des nombres et appréciait son intelligence.

Charles était un maniaque de l’ordre et de la précision. Dans sa jeunesse, il avait noté que les tables logarithmiques et trigonométriques, utilisées par les navigateurs, contenaient toujours des erreurs. C’était pour lui inacceptable. Il décida de les établir mécaniquement. Il imagina une machine à calculer et consacra sa vie et sa fortune à la construire.

Ada assistait à son combat et l’aidait dans la mesure de ses moyens. Entre 1842 et 1843, elle traduisit pour lui un mémoire d’un ingénieur italien qu’elle compléta de notes bientôt plus longues que le mémoire lui-même, où elle proposa une méthode pour calculer grâce à la machine la série des nombres de Bernoulli. Cette méthode n’était ni plus ni moins que le tout premier programme informatique.

Ada prit conscience que les machines à calculer pourraient manipuler des nombres, mais aussi des symboles. Pourquoi pas composer de la musique ? Ada introduisit en science la notion très féminine de qualité opposée à celle plus masculine de quantité.

Ada n’eut malheureusement pas la chance de voir tourner son programme sur la machine de Charles. Le gouvernement britannique cessa d’en subventionner la construction. Ada tenta de renflouer les caisses de Charles en jouant. Elle ne fit que s’endetter. Bientôt elle divorça et se retrouva seule au monde. À 36 ans, elle mourut d’un cancer des ovaires, sa mort précipitée par les saignées des médecins.

Elle exigea de reposer dans le cimetière de l’église Marie Madeleine de Nottingham, près de son père qu’elle n’avait jamais connu. Ironiquement, Byron aussi avait succombé à 36 ans, lui aussi poussé au trépas par des saignées intempestives.