La loi sur le prix unique du livre avait pour but de sauver les libraires, il est temps de sauver les auteurs et les éditeurs. Alors que mon fournisseur de tomates peut me vendre ses tomates moins cher que le supermarché, je n’ai pas le droit de faire comme lui, pas le droit d’attirer mes lecteurs chez moi pour qu’ils achètent mes productions en direct, à un prix défiant toute concurrence.

Le prix unique avait un sens à l’époque où il existait des objets uniques. Aujourd’hui, rien n’empêche les livres papiers et numériques d’être tous différents les uns des autres, par exemple en insérant de temps à autre des images fractales générées à la volée. Cet exemple excessif montre que l’ancienne loi, en plus d’être devenue stérile, n’est techniquement plus applicable.

En empêchant les auteurs et les éditeurs de vendre en direct, au prix qu’ils le désirent, elle tente de protéger la distribution. La même loi, appliquée au numérique, comme l’envisage le Sénat, aurait pour effet de renforcer plus encore les grandes plateformes au détriment des sites indépendants.

Les lecteurs n’auraient plus aucune raison de venir sur nos sites, d’y trouver des versions de nos textes augmentées de nos conversations et de travailler avec nous à nos prochaines œuvres. Aujourd’hui, le prix unique bloque l’innovation, notamment la construction d’une riche relation auteur-éditeur-lecteur.

Pour nous opposer à une loi obsolète et qui pourrait devenir un boulet pour nous, nous devons au plus vite faire la démonstration de ce que pourrait être un marché des textes qui profiteraient en priorité à ceux qui les font et qui les lisent plutôt qu’à ceux qui les transportent.

Montons des commandos éditoriaux

J’ai souvent exprimé des réserves quant à l’autoédition. Je crois qu’un éditeur est nécessaire. Mais rien ne l’oblige à avoir un nom et un numéro k-bis. L’éditeur peut exister comme une TIZ (zone interdépendante temporaire). Une équipe se forme autour d’un texte le temps de le finaliser et le faire connaître.

Pour faire simple, un éditeur remplit deux fonctions.

  1. Editing. Sélection des textes, perfectionnement et lissage, puis corrections ortho-typo avant la mise en forme.
  2. Publising. Distribution du texte et promotion.

Nous pouvons repenser cette chaîne. Voici comment la chose pourrait se faire. Lorsqu’un auteur veut diffuser un texte, il recherche des collaborateurs.

  1. Une ou deux personnes qui lisent le texte et le travaillent pour essayer de le tirer un cran plus loin. Il ne suffit pas d’être lecteur pour se lancer dans ce travail, il faut être un pro de l’édition ou un auteur qui aime travailler sur les textes des autres.
  2. Une fois que le texte satisfait, il est transmis à un correcteur pour l’ortho-typo.
  3. Dans le même temps, un graphiste dessine une couverture et réalise la mise en page.
  4. Sur son blog, l’auteur propose le texte en version électronique à un prix libre. Les lecteurs pourront récupérer le texte gratuitement, le lire, puis le rémunérer ultérieurement.
  5. Mais l’auteur ne peut être le seul propulseur de son texte. D’autres propulseurs doivent entrer dans le jeu et s’investir en amont de la publication.
  6. Tous les intervenants doivent se partager les éventuels bénéfices. Le gâteau devrait se diviser en deux parts, 50 % pour l’auteur, 50 % pour les autres acteurs qui, ensemble, remplissent l’ancienne fonction d’éditeur.
  7. Le texte sera aussi diffusé ailleurs que sur le blog de l’auteur (ou de l’éditeur). Sur iBookstore d’Apple, il sera vendu 30 % plus cher, l’idée étant de maintenir le même revenu pour l’équipe éditoriale quel que soit la plate-forme de vente.
  8. Des éditeurs comme publie.net pourront reprendre le texte et le diffuser sur d’autres plateformes, en appliquant leur marge.
  9. Des propulseurs affiliés qui interviennent en aval proposeront des liens commerciaux (comme c’est déjà possible avec Amazon).
  10. Le texte sera disponible en impression à la demande sous différents formats et différents prix, toujours en garantissant la même marge.
  11. Un éditeur papier pourra même le mettre en vente dans les librairies.

Cette approche est non capitaliste, puisqu’elle ne nécessite aucune mise de fonds initiale sinon le temps des différents partenaires. Les bénéfices sont partagés selon un contrat à définir au début du projet. Il ne s’agit pas d’une autoédition mais bien d’une édition coopérative. Pour chaque texte vendu à un prix variable, l’équipe éditoriale touche toujours la même somme. Si nos politiciens voulaient protéger les auteurs et les éditeurs, ils devraient voter celle loi et pas une autre.

Expérience pratique

Plutôt que de gloser autant tenter une expérience. Je viens d’écrire à cette fin une nouvelle d’une trentaine de pages, La chasse aux riches, qui pourrait être édité coopérativement.

Pour aller plus loin, il me faut donc trouver un ou deux éditeurs, un correcteur, un graphiste et des propulseurs (pourquoi pas un éditeur en ligne dont c’est l’essentiel du travail), éventuellement un éditeur papier. Si l’aventure vous intéresse, manifestez-vous.

Mon idée est de fixer le revenu unique à 2 euros. Je développerai un plugin pour gérer la vente sur mon blog (et je le distribuerai librement pour que d’autres auteurs puissent reproduire l’expérience). Le livre y sera donc accessible gratuitement, mais avec un prix conseillé autour de 2,10 euros (marge du système de paiement). Sur iBookstore, le livre sera disponible environ 2,99 euros. En impression à la demande ou en librairie, le livre devrait tourner à 7 ou 8 euros. D’autres formats pourraient être imaginés pour mieux montrer que c’est le revenu associé à un texte qui doit être unique.