Pour faire parler de soi sur les réseaux sociaux, il existe une recette infaillible et plutôt économique.

  1. À toute occasion, lâchez des énormités. Surtout lorsque vous parlez en public, notamment sur Twitter. Par exemple, comme moi, dites que Les community managers dont des putes.
  2. Soyez à l’écoute de la réaction. Si un frémissement traverse l’audience vous tenez quelque chose. Quelques retweets pour quelques mots anodins sont un signal fort.
  3. Vous tenez en fait votre titre. Peu importe maintenant ce que vous allez coller au-dessous. Si vous avez une idée à glisser ce n’est pas plus mal, profitez-en, mais soyez sûr que personne ne s’y arrêtera. Par exemple, dans mon papier sur les community managers, je parle d’un glissement du matraquage publicitaire du one-to-many au one-to-one. Un sujet central pour moi, lié à mes sujets théoriques depuis des années. Pas un écho dans les commentaires. La plupart ont tenté de sauver la vertu des community managers, préférant l’affect aux idées. Presque tout le monde a commenté le titre du billet.
  4. Vous n’avez alors plus qu’à attendre. Le résultat n’est pas garanti. Vous pouvez souffler sur les braises en répondant méchamment aux premiers commentaires ou en envoyant quelques piqures de rappel sur les réseaux sociaux. Par exemple, j’aurais pu dire que les community managers qui ont des couilles n’ont qu’à venir me défier lors de ma conférence de Lausanne.
  5. Il vous reste à faire un bilan après 24 ou 48 heures. En une journée, mes billets dépassent rarement les 1 000 lectures. Mon article sur les community managers en aura comptabilisé environ 3 000, soit une progression instantanée de l’audience de plus de 300 %.
  6. Entrer dans les chiffres est, dans tous les cas, édifiant. Si on suppose que mon audience habituelle est nulle, ce qui n’est pas le cas, puisque je dispose déjà de plus de 6 000 abonnées à mon RSS, chacune des 300 recommandations sur les réseau sociaux (197 tweets et 90 like facebook) aurons généré en moyenne, j’arrondis, 10 visites.
  7. Intéressant aussi de faire la comparaison avec un autre coup du même ordre réalisé un an plus tôt. J’ai annoncé que j’avais la plus grosse quéquette de tout Twitter, le 24 septembre 2009. Ce billet totalise 46 000 vues depuis, mais les deux premiers jours déjà 6 500 vues pour seulement 53 retweets le premier jour et 87 le deuxième. Le rendement était donc meilleur, 46 visites par recommandation (ce qui explique le succès à long terme du billet). J’avais donc trouvé une accroche plus prégnante. Elle ne touchait pas qu’une petite communauté mais tous les usagers de Twitter.
  8. Autres chiffres intéressants, si les lecteurs ont passé en moyenne plus de 5 minutes sur le billet contre les community managers, si donc ils l’ont lu pour la plupart, 80 % sont immédiatement repartis sans lire autre chose. Comme au moins 50 % des lecteurs étaient de nouveaux visiteurs, c’est dire le niveau de leur curiosité. Le buzz n’attire pas des lecteurs mais des passagers temporaires. Et après, sur Twitter, certains se demandent que penser de moi. Ne pensez pas, commencez plutôt par suivre les quelques liens du billet.
  9. Maintenant, pour que l’audience gonfle dans le temps, pour atteindre des scores de plusieurs dizaines de milliers de lecteurs cumulés, il faut un appui sur le Web. Si personne ne cite votre article dans d’autres articles, vous n’exploserez pas les compteurs. Vous resterez dans le provisoire (et un des jobs des community managers est justement de construire du durable).
  10. Enseignement : il faut travailler l’audience instantanée par la provocation tout en injectant suffisamment de fonds pour entretenir un débat. Cette seconde opération est plus délicate. Vous l’avez vu, l’intelligence et la profondeur, ne payent pas. Il est préférable en stigmatisant un ennemi, les community managers par exemple, de caresser dans le sens du poil une autre communauté, plus puissante. Mince, j’ai oublié cette règle. Un seul paragraphe aurait pu envoyer mon billet au firmament. J’aurais pu défendre l’idée que les seuls véritables community managers étaient les blogueurs et les journalistes (peu importe ce que je pense vraiment). Là, j’aurais fait fort. Ce sera pour une prochaine fois.
  11. Enfin, pas besoin de savoir de quoi vous parlez. N’ayez pas trop peur de dire des conneries, même les blogueurs et les journalistes en disent. Par exemple, affirmez comme moi, sans vergogne, que vous êtes un community manager, ce qui vous légitime pour parler d’eux. Surtout ne précisez pas que vous êtes un piètre membre de leur famille : j’insulte régulièrement mes commentateurs, je ne les caresse jamais dans le sens du poil, j’écris parfois des papiers pour les dénigrer et je suis incapable de les convertir en lecteur de mes livres (ce qui devrait être mon seul objectif). Je ne suis manager que d’une communauté de masochistes. Je fouette et j’aime être fouetté en retour. Grand sacrilège : personne ne me paye pour faire ce travail. Je ne suis même pas un professionnel.
  12. Et si c’était ça être community manager. Ça veut dire quoi après tout ? Dans les commentaires suite au billet, plusieurs personnes ont proposé des définitions intéressantes et divergentes du rôle des community managers. Résultat : aucun ne se ressemble. Et c’est une chance.
  13. C’est une manie chez moi, lorsque je provoque un buzz avec préméditation, j’aime y revenir par un article où j’explique ma démarche expérimentale. Je me livre à une continuelle étude sociologique. Un conseil : ne dites jamais que vous jouez. Ceux qui sont venus vous lire, attirés comme des mouches, ne vous le pardonneront pas. Trichez tant que vous le voulez, mais ne soyez pas honnête, sinon vous ne construirez jamais une vaste communauté.

Notes

Je reviens aux community managers. C’est un vieux métier, très bien décrit part Gladwell dans The tipping point. Quand une marque paye des jeunes pour aller commander dans les discothèques une nouvelle boisson, c’est déjà du community management. Idem quand on leur file des fringues pour déclencher une mode.

J’ai assisté à cette opération en live quand Isabelle s’est occupée du marketing de MSN Messenger dans le monde. On cherche les fans, on leur offre des informations de première main, on les chouchoute et ils étendent votre communauté.

Je n’ai rien contre. Quand on aime quelque chose, il est logique d’avoir envie de mieux le faire connaître. Que les écrivains que j’aime m’envoient gratuitement leur dernier livre. En revanche, je continue à penser qu’il est douteux de recourir à des agences qui ne s’intéressent qu’à votre fric et de leur faire jouer le rôle de fans. C’est aussi cela le community management aujourd’hui comme le rappelle un commentateur. OK, ça marche. Et après ? Devons nous être prêt à tout pour assurer notre pitance ?