Comment les auteurs réussiront-ils à transmettre leurs textes longs à des lecteurs rares et éparpillés ? Soit ces textes longs n’ont plus de pertinence, et il n’y a aucun problème, le blog devenant la seule forme littéraire contemporaine. Soit les textes longs continuent de jouer un rôle culturel clé, ce que je pense, et nous devons les connecter avec les lecteurs qui pourraient les goûter… et qui, par ailleurs, ne goûtent pas nécessairement les textes courts propres aux blogs.

Aujourd’hui, les éditeurs nous bombardent de bestsellers. De leur côté, les libraires éclairés et les blogueurs liseurs nous conseillent quelques lectures hors des sentiers battus. Dans un monde de plus en plus numérique, à côté de cette prescription humaine, les outils de datamining (analyse de ce que vous lisez, des articles que vous consultez, comparaison avec ceux qui effectuent les mêmes actions que vous…) proposent déjà des filtres de prescription (lisez ce que vos amis lisent). Par affinités électives, des ouvrages en relation avec ceux que nous lisons nous sont proposés, pour nous faire descendre vers les bas-fonds de la longue traîne. Excepté quelques auteurs stars, tous les autres dépendent de plus en plus d’algorithmes que seuls des géants peuvent mettre en œuvre (car eux seuls disposent de suffisamment de données). Il y a de la place pour Apple, Amazon, Google… Je ne vois même pas la Fnac s’en tirer.

Se pose la question pour les petits éditeurs et les auteurs indépendants de faire connaître leur production. On parle toujours de la nécessité d’avoir un blog et une plate-forme propriétaire mais elle ne permettra pas de faire du datamining, faute d’un nombre de transactions suffisamment élevé. Il sera impossible dans un petit écosystème d’amener les textes vers les rares lecteurs qui, quelque part, existent et qui pourraient les apprécier. Cette tâche semble dès lors dévolue aux seules grosses machines.

Un site est un bon endroit de fidélisation mais pas un lieu à partir duquel gagner de nouveaux lecteurs, sinon par un lent grappillage (qui n’est pas nécessairement compatible avec la forme blog). Je ne fais que mettre en évidence un piège qui est en train de se refermer : nous avons cru à l’indépendance en ligne, nous risquons d’y être plus que jamais dépendants de la distribution.

Il n’existe guère qu’une solution pour conserver notre liberté : l’interconnexion des auteurs et des éditeurs selon une logique win-win. Mettre en œuvre un datamining humain. C’est ce que je théorise dans L’alternative nomade. Mais je me demande si les auteurs réussiront à pratiquer cette stratégie du lien, tant pour la plupart nous ne pensons qu’à pousser nos propres textes au détriment de ceux des autres. Si cette mentalité se maintenait, ce serait notre perte, nous serions définitivement dépendants de la distribution.

Pour avoir une chance de ne pas nous emprisonner, il faudrait au minimum que nous puissions vendre en direct nos œuvres au prix que nous souhaitons, donc moins cher que la grande distribution. C’est ce que je tente avec La tune dans le caniveau.

C’est pourquoi le prix unique du livre électronique serait pour les auteurs et les éditeurs une catastrophe. En nous interdisant de vendre en direct à un prix avantageux, il donnerait une raison de moins pour les lecteurs de venir sur nos sites personnels ou ceux de nos éditeurs. Ces lecteurs auraient une chance de moins d’être en contact d’un datamining humain, un datamining de la passion et non uniquement celui d’élections algorithmiques ou promotionnelles.

Si nous réussissons à proposer chez nous nos œuvres à un prix avantageux, chaque fois qu’un lecteur trouvera un livre sur une grosse plateforme, il saura qu’avec un petit effort il trouvera le texte moins cher à la source. Le plus souvent, il ne s’y rendra pas, par commodité, mais il saura que cette porte est toujours ouverte et qu’elle offre d’autres itinéraires de lecture.

Résumé

  1. Un blog d’auteur avec des articles relativement courts n’est pas nécessairement un vecteur adapté pour propulser des textes longs.
  2. Un auteur sur son blog peut se propulser mais pas se prescrire.
  3. Tous les auteurs et tous les éditeurs peuvent s’interconnecter pour créer un datamining humain.
  4. On peut imaginer un protocole open data pour interconnecter tous les vendeurs directs de livres et proposer des algorithmes de prescription décentralisés qui viendraient rivaliser avec ceux des plateformes géantes.
  5. Nous devons nous opposer au prix unique du livre pour pousser nos lecteurs à venir acheter chez nous. Le prix unique ferait le jeu des grandes plateformes.
  6. Le prix unique du livre papier devait protéger les petites librairies. Le prix non unique du livre électronique s’impose pour protéger les auteurs et les éditeurs. Un choix inverse s’impose parce que nous avons les moyens de vendre moins cher chez nous, en direct, puisque nous sommes les producteurs.
  7. N’oublions pas que sur un réseau the winner takes all. Nous devons empêcher cette perte de diversité et surtout pas la favoriser par une loi sur le prix unique. Notre seule chance sera de proposer nos textes moins chers chez nous.
  8. Au temps du papier, les éditeurs ne pouvaient pas vendre en direct puisque tout le monde achetait en librairie. La loi sur le prix unique tentait de mettre tous les distributeurs, petits ou grands, à égalité.
  9. Il s’agit aujourd’hui de ne pas obliger les éditeurs-vendeurs en direct via leur site à se soumettre aux gros distributeurs.