Les textes numériques glissent si vite dans le flux qu’ils nous échappent parfois avant que nous les ayons réellement digérés. Ainsi l’introduction de L’édition interdite présente dans les premiers fichiers en circulation et reproduite par Christophe Grossi, était ambigüe. Elle laissait entendre que mon essai s’attaquait aux éditeurs alors qu’il tente de mettre à jour une rupture de paradigme qui concerne l’ensemble de la société. Voici la version officielle.


J’ai commencé par écrire des scénarios de jeux de rôles au début des années 1980, puis des nouvelles et des romans et je suis devenu journaliste dans la presse informatique. À partir de 1997, j’ai publié des livres de vulgarisation informatique. À partir de 2006, j’ai publié des essais. Tout cela pour dire que je connais le circuit traditionnel de l’édition. Sans en être un initié, j’ai réussi à vendre plus de 300 000 livres.

J’ai surtout noté les pesanteurs de la chaîne du livre, son conservatisme, sa tendance à traiter les auteurs comme des enfants, à croire savoir a priori les textes qui sont bons, à donner des leçons et à se planter systématiquement, les succès venant presque toujours de là où on ne les attend pas.

Sans renoncer à éditer mes textes dans le circuit traditionnel, j’ai investi les territoires numériques qui étaient en train de s’ouvrir. J’y ai rencontré d’autres auteurs comme François Bon et l’air du large nous a enivrés.

Alors quand les éditeurs traditionnels ont fini par s’intéresser à notre archipel, nous les avons entendus dire tout et n’importe quoi. Pour eux, il s’agissait de conquérir un nouveau canal de diffusion, de prendre la main sur un nouveau média. Pour nous, et nos rares lecteurs, il était plutôt question de conquérir un nouveau monde. Depuis, inlassablement, nous l’explorons dans trois directions interdépendantes.

1/ Nous expérimentons de nouvelles façons de travailler et de créer. Nous appliquons ce que j’ai appelé La stratégie du cyborg. Dans cet essai publié en 2010, je présente l’auteur comme le nœud d’un réseau social.

2/ Notre nouvelle façon de travailler ne peut qu’engendrer des œuvres nouvelles. Nous avons alors découvert que nos meilleurs livres sont nos blogs, des espèces de tentacules littéraires qui échappent à la vieille linéarité propre au livre

3/ Dans le même temps, notre volonté de publier en ligne, avec tout ce que cela implique pour nous, comme le refus des protections et l’autorisation de la libre copie, ont des conséquences immédiatement politiques. Nous sommes devenus des activistes. Et nous avons pris conscience que ce n’est pas seulement notre métier qui est en jeu, mais la vie de l’ensemble des hommes et des femmes. C’est de cette troisième direction que traite L’édition interdite, des conséquences politiques du passage au numérique. L’édition est devenue une affaire sociale.