Dans les sociétés anciennes, l’arc pouvait être créateur de valeur quand il servait à chasser, destructeur quand il servait à tuer d’autres hommes (étant entendu que pour moi toute mort humaine équivaut à la disparition de possibilités, donc de valeur). Cette analogie suffit il me semble à répondre oui et non à la question, mettant évidence le rôle que nous avons à jouer dans cette histoire.

Internet a un statut ontologique supérieur à celui de l’arc. Je ne le définis jamais comme un outil mais plutôt comme un territoire. Un territoire est-il créateur de valeur ? Encore une fois oui et non.

Quand on a découvert l’Amérique, on a créé beaucoup de valeur pour l’Europe et on a détruit beaucoup de valeur pour les civilisations indigènes.

Internet ne peut être créateur de valeur que si nous y développons une éthique et un art de vivre. D’où la nécessité de mettre l’homme dans la boucle, d’interroger son rôle sur ce territoire, de repérer les endroits et les moments où il fait fausse route.

J’ai pour ma part basculé de la création de valeur grâce au Net à la destruction quand j’ai mis ma vie en danger, quand j’ai anesthésié en moi toute créativité. Bien sûr ce n’est pas le Net en lui-même qui est responsable, mais le Net en lui-même n’existe pas. On est obligé d’y introduire l’homme… et la prise de distance s’impose, non pas pour honnir internet, mais pour essayer justement d’éviter les pièges qui pourraient être destructeurs de valeur.

On ne peut pas seulement tenir un discours angélique par rapport au Net. Nous devons en mesurer toutes les dimensions, pour continuer à faire de lui un territoire intéressant à explorer et à habiter.

Quand je vois ce qu’en font les gouvernements avec des lois de type Hadopi ou des entreprises centralisées comme Facebook, je suis tenté de me dire que la création de valeur risque de se réduire à pas grand-chose, et surtout à n’être profitable qu’à une portion congrue de l’humanité.

Nous avons tous ensemble un défi à relever. Soit devenir les outils de nos outils comme l’a dénoncé en son temps Thoreau, soit devenir les démiurges de notre nouveau territoire. Plusieurs portes s’ouvrent à nous. Ne nous précipitons pas dans la dernière venue comme nous y incitent les promoteurs des nouvelles technologies, avant tout intéressés à la création de valeur pour eux et qui, dans le même temps, prétextent systématiquement la création de valeur pour nous.

Ce n’est pas à eux d’effectuer un bilan comptable, mais à chacun de nous, au regard de l’évolution globale de la société et aussi de sa propre existence. Suis-je plus heureux ? Sommes-nous collectivement plus heureux ? C’est sans doute la seule question qui m’intéresse.