En 2010, lors de ma première intervention chez Kawenga, j’avais répondu à cette vaste question par un billet que je reprends et module et qui me servira de fils rouge lors de ma présentation.

Exister ou ne pas exister

Des auteurs refusent de donner des interviews, de passer à la TV ou à la radio, il est bien sûr possible de vivre en dehors du Net. C’est un choix radical qui ne se justifie que dans un refus des médias en général. Pour l’auteur ordinaire, exister en ligne est une nécessité. Elle peut même pour certains être un engagement politique et esthétique, l’occasion de s’exprimer autrement, d’explorer de nouvelles formes. Je conçois trois modes d’existence en ligne :

  1. Passif (observation)
  2. Minimal (promotion)
  3. Actif (création)

Ces modes demandent un investissement temps croissant. Le chemin sur cette voie dépend de l’envie, de la curiosité, de la volonté ou non de prendre des risques et d’explorer de nouveaux territoires. La seconde étape est la plus inconfortable, la plus difficile à tenir.

Nota On ne peut prétendre à une position créatrice sur le Net sans passer par la promotion. L’existence active étant toujours une forme d’exposition de soi, donc de marketing.

Exister aux yeux des autres

Si vous avez publié des livres, votre nom apparaît partout sur le Net. Même si vous n’êtes pas obsédé par ce qu’on dit sur vous, il est intéressant de tendre l’oreille.

Plutôt que googler fébrilement, créez des alertes sur votre nom, les titres de vos livres, vos mots-clés… Plus efficace, et à utiliser en parallèle, Mention fouille en profondeur les réseaux sociaux.

N’attendez pas que votre éditeur vous communique vos ventes, estimez-les en suivant les graphiques qu’Amazon fournit aux auteurs.

Petit jeu Comparez votre score sur Google Web, Google Actualité, Google image, Amazon… à ceux d’auteurs plus ou moins connus.

Exister encyclopédiquement

Pour se faire une idée sur un auteur, beaucoup de gens commencent par interroger Wikipedia. Ne pas y être, c’est comme ne jamais avoir écrit. Trouvez des lecteurs qui créeront votre fiche (on n’a logiquement pas le droit de la créer soi-même). En prime, cette page apparaîtra en haut des résultats Google.

Exister numériquement

Avant de passer à l’action, vous devez définir votre identité numérique. Elle commence par votre adresse mail. Si dans son intitulé, on peut lire celui d’une grande entreprise, à qui faites-vous de la publicité ? À vous ou à elle ?

Ne serait-ce que pour garantir votre indépendance, vous devez disposer d’un mail personnalisé. Pour disposer d’un mail personnalisé, vous devez posséder un nom de domaine, du type votre_nom.fr. Il est votre marque. Pour ma part, j’ai choisi tcrouzet.com parce qu’il me semblait simple de m’identifier par mon nom. Pour la plupart, nous adoptons cette stratégie même si François Bon, lui, a choisi un nom plus littéraire : tierslivre.net. Des services comme gandi.net ou OVH hébergent les noms de domaine et gèrent les mails pour quelques euros par an.

Après avoir acheté mon domaine, j’ai confié la gestion des mails à Google Apps for business, version gratuite. Mais je ne suis attaché à aucun service. Je peux confier la gestion du domaine comme des mails à d’autres acteurs quand je le veux. En résumé, je peux déménager numériquement sans avoir besoin de prévenir mes amis. Pour eux, je serai toujours joignable à la même adresse.

Exister chez les autres

Une alerte vous prévient qu’on parle de vous, il est temps de réagir. Pour remercier, préciser, vous défendre… Tous les articles disposent de champ commentaire où vous sèmerez nos graines. Vous aurez besoin de votre mail pour vous identifier mais il sera invisible, et il serait mal venu de le rendre public : les spammeurs seraient les premiers à s’en emparer. Pour que les internautes interagissent avec vous, linkez vers vos existences sociales publiques.

Exister publiquement

Des dizaines de lieux vous proposent de créer vos espaces. Certains très utiles pour un auteur :

  1. Réseaux sociaux (Facebook, Twitter…)
  2. Lecture sociale (Babelio, Goodreads, Readmill…)
  3. Partage de photos (Flickr, Instagram…)
  4. Blogs (Blogger, Tumblr, WordPress…)

Si vous avez un blog, vous pouvez échapper à Facebook et Twitter. Dans le cas contraire, il vous faut choisir un endroit de visibilité numérique. Sur Facebook la plupart des auteurs créent leur page (tout le monde peut la suivre sans se déclarer ami avec vous).

Pour ma part, comme j’ai un blog, j’ai jamais entretenu ma page. Dans un souci d’indépendance, je concentre ma présence sur l’espace qui est le mien.

Pourquoi les photos ? Une couverture, une rencontre, un débat… c’est une façon de parler de vous sans perdre de temps, et les gens apprécient souvent plus qu’un long discours (malheureusement).

Exister à l’économique

Impossible d’être présent sur tous les services sociaux, sans un minimum d’organisation. Deux outils sont indispensables.

  1. Plutôt qu’aller sur Facebook pour publier sur Facebook, sur Twitter pour publier sur Twitter, et ainsi de suite, utilisez un desktop comme hootsuite.com. Un même message sera expédié à plusieurs réseaux en même temps.
  2. Pour propager plus loin, avec plus de nuances, IFTTT vous aide à créer des liens automatiques entre tous les services 2.0.

Exister au risque de ne plus écrire

Nous avons toujours été accros aux relations sociales. Le Net les démultiplie jusqu’à l’ivresse. Comme écrire en ligne et en direct procure une récompense immédiate, on peut finir par négliger toute autre forme d’écriture (celle inscrite dans le temps long notamment). Trouver un équilibre est un chemin hasardeux. Je pense qu’il ne faut pas avoir peur de plonger à fond dans le Web, avant de reculer un peu, de chercher sa juste place. Parfois la transparence stimule, parfois au contraire elle bride la créativité.

Quizz Quand j’ai discuté avec Kawenga, on m’a demandé de parler de l’art d’écrire en ligne. Mais il n’y a rien à dire. On écrit en ligne comme on écrit hors ligne. Chacun son style. Tout est possible. Court, long, soigné, expédié… Pas de règle ou même prendre le contrepied.

Exister en amont

N’attendez pas que vos livres sortent pour en parler. La vie en ligne, c’est donnant donnant. Vous partagez avec vos lecteurs. Quand vous cherchez un titre, vous pouvez les mettre à contribution. Vous avez votre nouvelle couverture, vous la diffusez. Idem pour les argumentaires, textes de présentation… Mais la modération s’impose. Donnez des nouvelles tout en pensant à écrire sur d’autres sujets. Ne prenez pas vos lecteurs en otage de votre narcissisme (pas gagné pour un auteur).

Exister chez soi

Les réseaux sociaux sont bien beaux mais vous n’y êtes pas chez vous. Ni libre du look ou du format, ni tout à fait libre d’y dire ce que vous voulez. Les affaires de censure ne manquent plus. Pour exister pleinement en ligne, ouvrez un blog pour y générer votre propre audience. Et comme pour le mail, associez-lui votre nom de domaine, plutôt que celui d’une entreprise.

Bonne nouvelle. Quand vous achetez un nom de domaine, vous achetez en même temps un espace d’hébergement où installer automatiquement un WordPress, la plateforme de blog la plus populaire et la plus largement supportée, notamment par les services comme IFTTT.

À ce stade, rien ne vous oblige à devenir blogueur. Vous pouvez vous contenter de créer des pages statiques pour vos livres, en veillant à ouvrir en dessous un fil de commentaires. Listez les articles de presse. Publiez votre agenda. Présentez-vous., bibliographie à l’appui.

Exister de tout son être

Il peut-être temps de dépasser le marketing et d’exister réellement sur le Net, en étant proactif. Si vous vous contentez d’ouvrir un blog statique, il ne s’y passera pas grand-chose. Pour devenir blogueur, interagissez avec les autres acteurs du Net. Plutôt que commenter chez eux, écrivez chez vous, liez vers eux, chez eux renvoyez vers chez vous. C’est ainsi que se crée un dialogue et se dessine la blogosphère.

Nous ne sommes plus à l’âge d’or des blogs. N’attendez pas une reconnaissance immédiate et éblouissante. Avec patience, avancez, discutez, rencontrez… On se construit peu à peu une solide maison numérique, en relation avec les lecteurs et les autres auteurs.

De nombreuses études montrent que plus vous publiez sur votre blog, plus vous recevez de visiteurs. Déprimant n’est-ce pas ? Le phénomène est facile à expliquer. Plus les articles sont nombreux, plus vous offrez de portes d’entrée hasardeuses (le titre ayant beaucoup plus d’importance que la suite de l’article). C’est une question de mathématique.

Inutile toutefois de se prêter à ce jeu. Si vous pondez un article percutant, il se propagera à travers les réseaux sociaux. Il sera lu. Aujourd’hui, notre trafic ne dépend plus des seuls moteurs de recherche, c’est une évolution positive, même si dans le même temps les réseaux sociaux capturent une part essentielle de l’audience.

Exister en jouant du tamtam

Une fois un article publié sur un blog, les moteurs de recherche le repèrent assez vite (et plus vite plus vous êtes populaire). Mais ne comptez pas sur eux seuls pour recevoir des lecteurs. Par le passé, les fils RSS étaient à la mode. Les lecteurs abonnés au vôtre étaient automatiquement alertés. Mais cette fonction « avancée » ne s’est jamais démocratisée.

Aujourd’hui, les lecteurs débarquent en général quand ils cliquent sur des statuts sociaux qui pointent vers vous. Annoncez donc vos nouveaux articles. Espérez qu’ils seront likés et retwittés. Pour ma part, j’évite d’envoyer des mails pour dire que j’ai écrit un nouveau truc. La communauté des lecteurs n’est pas nécessairement celle des amis. Mais je propose à mes lecteurs de recevoir automatiquement par mail mes nouveaux articles.

Titraille Si l’art d’écrire en ligne ne diffère guère de l’art d’écrire hors ligne, il faut en revanche soigner les titres. Comme ils capturent l’attention, ne craignez pas de provoquer, de dire le contraire de ce que vous pensez… Soyez un peu journaliste.

Exister en interagissant

Vous devez maintenant réagir aux réactions de vos lecteurs. Essayez d’être présent dans vos fils de commentaires. Défendez-vous, expliquez-vous, quitte à publier de nouveaux textes si nécessaire. Internet permet le dialogue bidirectionnel, se contenter d’émettre est un non-sens. Tout cela prend du temps, mais vous découvrirez que votre communauté peut vous stimuler plus efficacement que le café.

Dès qu’on anime une communauté, elle participe à notre travail que nous le voulions ou non. J’ai écrit certains de mes livres de manière coopérative, des livres comme La quatrième théorie que je ne n’aurais pas écrits seuls. Il ne s’agit pas seulement de faire sa promotion, mais de vivre une expérience collective. Plus je me lie aux autres, plus je suis libre. J’espère que cela vaut aussi pour l’écriture. Le mieux est de s’essayer à l’écriture coopérative, via Twitter ou autre, pour en expérimenter la puissance, et découvrir ce que j’appelle La stratégie du cyborg .

Le plus important est sans doute de chasser de son esprit le mot virtuel. Votre communauté construite en ligne n’est pas virtuelle, mais réelle. Vous avez de véritables lecteurs de l’autre côté de l’écran, des lecteurs qu’il ne faut pas hésiter de rencontrer IRL, non pas pour qu’ils signent vos textes, mais pour qu’ils poursuivent avec vous un brainstorming continuel.

Votre public en ligne ne recouvrera pas votre public hors ligne. Les lecteurs de blogs n’aiment pas nécessairement lire des livres. Je me demande parfois si mon blog ne me dessert pas plus qu’il ne me sert d’un point de vue marketing. Le blogueur n’a-t-il déjà pas tout dit gratuitement ? À vouloir être trop présent, on risque de fatiguer tout le monde.

Exister en s’autopubliant

Avec un PDF vous êtes OK pour la POD chez un lulu.com, avec un ePub OK pour envoyer votre livre sur les plateformes électroniques. Le plus dur reste alors à faire. S’autopublier règle bien des problèmes éthiques et politiques comme je l’évoque dans L’édition interdite, mais trouver des lecteurs est une autre affaire, à moins que vous n’ayez en main le prochain Cinquante nuances de Gray.

On ne doit négliger aucune piste. Pour ma part, je publie tantôt avec Fayard, tantôt avec publie.net, un pure-player du Net, tantôt tout seul. Tout dépend du texte. Nous disposons de nouvelles possibilités, nous devons les expérimenter toutes. Avant il était impensable de publier un texte d’une vingtaine de pages comme Baby-foot, aujourd’hui c’est possible. Et cette possibilité même nous pousse à écrire des textes que nous n’aurions pas écrits.

Exister pourquoi ?

Un blog peut vous aider à vous faire connaître, à rencontrer des lecteurs et d’autres auteurs, peut-être des éditeurs, à expérimenter de nouvelles formes, il ne vous fera pas gagner de l’argent. Voyez-le comme un salon du livre permanent où vous vous prêtez à des performances. C’est votre boutique d’écrivain public dans une rue plus ou moins obscure du Nouveau Monde.