En septembre dernier, après avoir passé une paire d’heures à refaire le monde avec Étienne Chouard sur les hauteurs de Trets, je me suis dit que nous étions nombreux à escalader la même montagne par des faces différentes. Nous avons trop tendance à attendre de nous rencontrer au sommet. Le temps passe, et nous en sommes toujours aussi loin, chacun à batailler pour sa paroisse.

Il m’est alors apparu qu’un ensemble d’idées et de causes contemporaines, bien qu’en apparence très différentes, étaient intimement connectées. Et qu’il était nécessaire de démontrer leur interdépendance et d’affirmer leur cohérence logique. Toute idée qui ne serait pas en cohérence devrait sans doute être, sinon écartée, interrogée plus que sérieusement.

Je n’ai pas eu le courage de me lancer dans ce travail, je ne l’ai pas plus aujourd’hui, il faudrait des dizaines de billets pour l’approfondir, mais je me suis décidé à résumer ce qui n’est qu’intuition.

Pas de cause des causes

Je crois qu’il n’existe pas une cause des cause, une cause qui engloberait toutes les autres (essentialisme). Nous devons nous défendre de cette idée même, et proner la diversité, seule source d’intelligence collective.

Les intégrismes ont toujours voulu promouvoir la vérité, la sagesse ultime, la transcendance définitive. Résultat : totalitarisme. Admettons, pour notre sauvegarde, qu’il n’existe pas une loi mais des lois qui interagissent, de pays en pays, d’époque en époque, pour construire la loi instable et fragile du présent.

Ne voir qu’une cause, ne mener qu’un combat, c’est se fermer à ce qui en l’autre nous manque. C’est refuser l’intelligence collective, ce surplus qui nous échappe sans cesse, et qui sans doute nous définit en tant que conscience.

Mais refuser la cause des causes ne doit pas, à l’opposé, nous pousser à adopter la moindre contrebande idéologique, sans en mesurer la pertinence et la cohérence avec le reste de notre univers mental.

Entre la monophonie et la cacophonie, il existe la polyphonie. Elle doit être un objectif impossible entre des voies qui bien que divergentes contribuent à une harmonie d’un ordre plus ample, plus raisonnant, plus ambitieux.

Je vais me contenter d’évoquer quatre causes contemporaines qui pourraient jouer ensemble dans le même orchestre. Je ne les cherche pas loin, je puise autour de moi (et même en moi).

1. Le tirage au sort

Empêcher que les gens de pouvoir ne s’accaparent le pouvoir, notamment qu’ils définissent eux-mêmes les règles de leur juridiction. Solution : plutôt qu’élire nos représentants, on les tire au sort. Alors ils ne représentent plus aucun parti, aucune église, mais exercent leur bonne intelligence pour une courte période, avec la certitude de ne jamais retrouver le pouvoir.

2. Le revenu de base

Instaurer de la naissance à la mort un revenu inconditionnel, faire en sorte que l’argent devienne une ressource aussi abondante que l’air, justement parce qu’il est tout aussi indispensable que lui pour la vie.

3. Le domaine public

Œuvres, logiciels, théories, services… étendre sans cesse les territoires en libre accès à tous, dans une logique d’abondance et en finir avec toutes les pénuries artificiellement créées pour le bénéfice de quelques-uns.

4. La complexité volontaire

Pour accroître nos libertés, nous devons par tous les moyens, notamment l’interconnexion, accroître la complexité du système afin de le rendre incontrôlable par des entités centralisées. J’ai décrit ce combat dans L’alternative nomade.

Un peu de logique

Nous devons sans cette étendre cette liste, puis nous amuser à faire interagir les idées par un jeu d’implications. Je ne vais pas tenter d’être exhaustif, juste esquisser ce qui pourrait être développé.

  1. Tirage au sort => Imprévisibilité => Complexité
  2. Complexité => Impossibilité de contrôler, notamment la monnaie => Crises => Nécessité de distribuer la création monétaire pour plus de résilience => Revenu de base

  3. Revenu de base => Sécurité alimentaire et sanitaire pour tous => Plus grande possibilité de s’engager dans la société du don => Extension du domaine public

  4. Extension du domaine public => Ouverture à tous de la culture => Plus d’égalité => Tout le monde apte, un temps, à exercer le pouvoir => Tirage au sort

  5. Tirage au sort => Acceptation que l’intelligence est un bien commun => Recour à l’intelligence collective => Vaste domaine public dans lequel elle peut se déployer sans entrave.

  6. Domaine public => Les producteurs qui l’alimentent doivent pouvoir s’alimenter => Revenu de base

  7. Revenu de base => Possibilité de dire non (à un patron qui exigerait de nous quelque chose d’inacceptable) => Plus de liberté => Plus de puissance d’action et d’interaction => Plus de complexité.

Je pourrais longuement argumenter les implications, en ajouter des dizaines, mais, à ce stade, la méthodologie m’intéresse avant tout. Il ne s’agit pas de chercher l’idée ultime mais d’organiser notre boîte à outils, en veillant qu’un flux circule sans cesse entre toutes les cases et que de nouvelles jaillissent.

Quand nous parlons d’une idée qui nous tient à cœur, nous serions tous plus forts si nous gardions à l’esprit les multiples rhizomes qui s’en échappent. Sinon nous risquons de plonger dans le dogmatisme, pire dans le constructivisme.

Il n’existe pas une solution miracle. Ce n’est pas le revenu de base ou le tirage au sort qui nous tirera d’affaire, mais un faisceau de possibilités entremêlées. De même leur mise en œuvre ne sera que parcellaire, ponctuelle, hasardeuse. N’attendons pas une loi qui instaurerait tel ou tel nouveau principe. Elle serait en contradiction avec la chaîne des implications qui introduit l’imprévisibilité. Nous devons œuvrer dans le champ des consciences. Nous devons labourer ce terrain, à commencer par les terres qui nous appartiennent en propre.

Une seule chose me paraît évidente, si nous continuons à œuvrer chacun dans nos îles, nous nous ferons tous croquer par nos adversaires. Ils n’ont que faire de la liberté, de l’égalité, du domaine public. Ils n’ont jamais été aussi puissants. Notre monde pour eux n’est pas en crise. Ils sont les rois de la crise. Le monothéisme ne les effraie pas.