J’ai supposé qu’il n’existait pas une cause des causes mais uniquement des causes communes. Invariablement, ressurgit dans les réactions l’idée qu’il faut commencer la rénovation politique par tel ou tel endroit en priorité. La constitution pour les uns, la monnaie pour les autres…
Chacun défend son église. Je comprends que nous soyons les uns les autres plus attirés vers un domaine qu’un autre, mais faire de notre attirance un fondement logique à nos actes, et à ceux de la société est sans doute dangereux (et de même nature que le mal que nous voyons par ailleurs si clairement).
Dans un monde complexe, les causalités se referment sur elles-mêmes. On a des enchaînements circulaires. Maurin dans La méthode trace des boucles de feedbacks pour montrer qu’il n’existe ni début ni fin, uniquement des processus. Pour transformer la société, on peut agir partout. Croire qu’il existe des points de levier exclusif, par engagement idéologique ou étroitesse d’esprit, c’est nier les autres possibilités, en toute probabilité celles qui seront fécondes.
On peut à titre personnel militer pour un angle d’attaque particulier mais on ne doit lui accorder aucune prévalence. C’est l’alliance des causes compatibles qui provoquera un changement durable. Si l’une parmi elles l’emportait, nous devrions immédiatement reprendre le combat. Un point de vue unique nous approche de la dictature idéologique.
Un cas pratique
De nombreux activistes ne jurent que par la refonte de la constitution. C’est le Saint-Graal pour eux. Une condition sine qua non. À mon avis, ils s’enferment dans une boucle stérile.
Postulat. Les hommes de pouvoir ont écrit la constitution. Ils sont aussi pourris qu’elles. Tant qu’on ne changera pas la règle qu’ils ont définie, rien ne bougera.
Présupposé 1. Ce postulat sous-entend que nous n’avons aucun moyen d’action acceptable hors de la constitution.
Déduction 1. Mais alors comment changer la constitution elle-même si elle ne prévoit pas la possibilité pour elle d’évoluer, ou d’être remplacée ? Nous n’avons d’autre recours qu’agir de l’extérieur. Une constitution est nécessairement incomplète. Pour évoluer, elle a toujours recours à ce qui n’est pas encore contenu en elle. La constitution ne peut donc être le seul levier de transformation sociale. Et si elle accepte ce qui lui est extérieur, elle devient processus. Elle n’est plus figée mais provisoire, instable, révisable. Elle n’est plus ce qu’on appelle une constitution.
Présupposé 2. La nouvelle constitution empêchera la gangrène qui ravage l’ancienne.
Déduction 2. Par quel miracle une nouvelle classe de privilégiés n’apparaîtrait pas ? Je crois que des hommes et des femmes finissent toujours par trouver la solution à l’équation de la constitution. Ils en deviennent les apparatchiks. Ils dénichent une faille à cause de l’incomplétude congénitale de la constitution. Ils s’installent à sa frontière. Il me paraît inutile de rêver de la constitution idéale. Toute constitution engendre des déséquilibres.
Conclusion. Je ne dis pas qu’il ne faut pas réviser la constitution, mais il faut être conscient que cette révision en réglant certains problèmes en provoquera d’autres.
C’est un vieux problème en logique résolu par Gödel. On ne peut pas définir une axiomatique sans que, en elle-même, jaillisse des problèmes indécidables. Cette indécidabilité, ce flou juridique, est le terreau sur lequel se construisent les inégalités.
Le combat constitutionnel est important, mais il ne peut être ni le seul, ni celui qui doit être privilégié (pas plus qu’un autre). La rénovation passe nécessairement par le dialogue entre les causes. Seuls, les chevaliers de chacune d’elle n’aboutiront à rien.