J’ai du mal avec l’idée de testament. Elle suffit à m’effrayer, autant que les assurances vie. J’ai perdu en 2012 quatre personnes que j’aimais, trois très proches, je leur parle sans cesse depuis en pensée, sans pour autant être serein avec l’idée de ma propre mort. Tant que je serai dans cet état, je serai incapable d’envisager un testament. Le jour où j’en écrirai un, j’aurai fait un grand pas dans l’acceptation de mon humanité.
Et c’est peut-être ma peur même de la mort qui fait de moi un maniaque de l’archivage. Mais plus sûrement mon goût pour les histoires de création. J’aime savoir comment les choses jaillissent. J’ai même dans ma jeunesse décidé d’en faire le méta sujet de tous mes textes. Ne créer que pour pouvoir documenter la création. Une étude sur le fonctionnement du cerveau, sur ces moments extravoluptueux comme les qualifiait Flaubert.
Si j’archive, si j’epube, si je publie partout, à chaque occasion, c’est pour donner une chance aux témoignages de se féconder et de rencontrer ceux des autres. Alors une histoire s’invente. Comme en ce moment même, ce billet faisant écho à un billet de François Bon, qui lui-même répond à un billet de Cécile Arènes et un autre de Karl.
Les textes sont leur propre testament. Ils sont des organismes abandonnés dans le flux. J’aime les détacher d’un serveur physique pour qu’à travers fichiers vagabonds ils partent se cacher dans des replis abrités de l’espace numérique immature. La sélection naturelle ne leur laissera que peu de chance. Pas plus qu’aux manuscrits d’Alexandrie. Autant ne pas les priver dès leur naissance de quelques avantages propres aux biens nés.