Politiciens, je vous aime, j’apprécie votre énergie débordante, je salue vos idées, mais je suis chagriné. J’ai passé 2012 en compagnie d’Ératosthène, à chercher à comprendre pourquoi les Grecs du IIIe siècle avant JC avaient rejeté ses idées et je retrouve à l’œuvre chez vous les mécanismes qui jadis ont conduit à la fin d’un âge d’or.

Pour la plupart, vous ne remettez pas en question la nécessité du pouvoir. Vous en critiquez la corruption, les débordements, les imperfections, mais vous refusez de mettre au rebu le mode de management patriarcal.

« Nous avons toujours eu des chefs, nous aurons toujours des chefs », dites-vous en substance. Et si le bug c’était justement ce dogme, et s’il n’était pas perfectible, et s’il fallait tout simplement, peu à peu, s’en débarrasser ?

Tirage au sort et non-cumul des mandats ne valent guère mieux que le népotisme électoral ou que la dictature des experts. Ouvrez les yeux ! Adeptes de ces écoles, parce que vous menez un combat en apparence juste, vous attirez des sympathisants et oubliez cette sagesse immémoriale : nul homme ou femme, ou presque, n’est capable de résister au pouvoir.

Dans ma jeunesse, quand je suis devenu rédacteur-en-chef et que j’ai héréité d’un peu de pouvoir, je me suis vu changer. Depuis, je n’ai cessé de voir les gens changer sous le même joug. Vous aussi avez changé. Difficile de garder ses distances, de ne pas succomber au charme des responsabilités et de la gloriole qu’elles engendrent. On est soudain plus beau, plus attirant, plus sexy, et parfois même plus riche, et si on ne l’est pas, on vit tout de même comme un riche. Regardez votre façon de vous habiller, de vous tenir, de parler. Vous ne remarquez rien. Vous sentez déjà le vieux politicien rabougri.

Le pouvoir est nocif. Même à petite dose. Déjà dans les associations de quartier les présidents se la jouent. Vous-même ne résistez pas au plaisir d’être des leaders d’opinion. Vous tombez dans le piège que vous dénoncez.

Bon sang, changez de fusil d’épaule. Le pouvoir ne doit pas être donné ou loué ou concédé. Il soit être réparti, distribué entre tous. Voilà pourquoi j’attache une importance démesurée aux idées qui vont en ce sens. J’en liste quelques-unes, pour le plaisir, aussi parce que, il faut le répéter, notre avenir ne sera radieux qu’à travers elles.

  1. Revenu de base. Distribution de la création monétaire.
  2. Domaine public. Distribution de la culture.
  3. Open source. Distribution du code informatique.
  4. Internet. Distribution de l’information, de la puissance de calcul, de la communication…
  5. Imprimantes 3D. Distribution de la capacité de production industrielle.
  6. Énergies renouvelables. Distribution de la production énergétique.
  7. Amap. Distribution de la production alimentaire.

Notre avenir se joue sur ces champs de bataille, non pas dans ceux que vous menez. Oubliez les hommes et les femmes de pouvoir, faites en sorte qu’ils en aient de moins en moins parce que nous en aurons toujours plus. Ne cherchez pas des subterfuges pour les limiter. Rendez tout simplement le pouvoir abondant. Libérez-le.

Petite objection au tirage au sort

Supposons-le instauré. Qu’est-ce qui empêche des partis de se former, les gens de se réclamer des uns et des autres, et puis de prendre le pouvoir en leur nom quand ils sont tirés au sort, et même de procurer quelques avantages aux membres de leur parti, ce qui incitera plus de gens à le rejoindre ? Rien. Le tirage au sort ne présente que peu d’avantages par rapport aux modèles électifs : il serait sans doute plus économique, mais beaucoup moins amusant (et nous avons besoin de divertissements, le jeu politique n’étant pas des moindres, il a pour vertu de détendre l’atmosphère le temps des élections).