Jaime le blog pour la vitesse, le jet, la pensée pure, encore incertaine, les rebonds avec les lecteurs et les autres blogueurs. La twittérature m’a envoyé dans une direction opposée. Je n’ai jamais écrit aussi lentement que quand j’ai travaillé à La Quatrième Théorie.

C’est paradoxal, parce qu’on twitte comme on pense. Souvent sans se relire. Voyant a posteriori les gigantesques fautes d’orthographe. Les mots oubliés. Mais une autre dimension doit être prise en compte : l’audience. Le lecteur est derrière l’écran. Et il n’a pas forcément envie de vous lire à l’instant où vous écrivez, de crouler sous vos messages. On doit le ménager. D’autant plus si on attend de lui une réaction avant de publier le tweet suivant.

Cette double tension de l’interaction et de la politesse m’a contraint à écrire lentement. Ce temps entre les phrases et entre les chapitres, ces réponses jaillissantes des lecteurs, m’ont forcé à trier les idées, selon un processus évolutif. J’imaginais une suite de l’intrigue, une autre apparaissait, puis une autre, je devais choisir la plus féconde, alors que quand j’écris d’habitude je prends ce qui vient au fil de l’eau.

Twitter m’a ralenti avec pour effet de compresser mon style et d’accélérer inversement la narration. C’est à cette seule condition que j’ai réussi à écrire un thriller.

J’avais divisé la twittérature en trois grands domaines, je peux dorénavant proposer une classification plus simple.

Nanolittérature

Depuis toujours des auteurs écrivent par fragments, plus ou moins reliés entre eux. Des poèmes chez Sei Sh?nagon, des pensées chez Pascal, des souvenirs chez Perec…

Ils notent ce qui leur passe par la tête. Les Japonais parlent du style zuihitsu, au fil du pinceau. Le fragment n’est pas nécessairement court, comme sur les blogs, mais il peut l’être, et devenir un micropost littéraire sur un réseau social, Twitter imposant une contrainte de taille toute oulipienne pour pimenter l’exercice. Alors pensées, poésies, micronouvelles engendrent une nanolittérature qui se joue dans l’instantanéité.

Mégafeuilleton

Un second courant traverse la twittérature. Je n’en trouve aucun antécédent avant 2003 et le premier phone novel au Japon. Il ne s’agit plus de publier des fragments, mais une à une les phrases d’un vaste récit : nouvelle, roman, gros pavé de presque 600 pages comme mon thriller.

Chaque post peut être considéré comme un des très nombreux épisodes d’un long feuilleton. Entre chacun de ces épisodes, qui, tout en tenant par lui-même, s’insère dans une continuité, l’auteur ouvre une béance où le lecteur s’engouffre s’il le souhaite.

Le mot est lâché : interaction. Une interaction qui n’est possible que grâce à la technologie, surtout quand on considère que l’expérience peut se prolonger durant des mois. Une interaction à l’échelle de la phrase. Une sorte d’ouverture extrême du processus créatif que j’ai souvent comparé à ce qui se pratique dans le jeu de rôle.

En twittérature, nous avons donc d’un côté des nanolittérateurs, de l’autre des feuilletonistes. Bien sûr, l’interaction comme la contrainte interviennent dans les deux cas, mais avec un penchant plus ou moins marqué pour l’une ou l’autre. Et avec la possibilité pour chacun de nous de changer de casquette, et même de mêler les genres.