Pour annoncer la soirée de lancement de La Quatrième Théorie avec les Freemen, le 3 avril sur Paris, Centre Commercial m’a interviewé pour leur blog, j’ai prolongé avec d’autres questions qui m’ont été posées ailleurs. — Dans quelles circonstances avez-vous écrit ce livre ?— En décembre 2008, après avoir découvert que des auteurs américains s’amusaient à écrire des nouvelles sur Twitter, j’ai commencé à improviser la première page d’un roman, dans le but d’écrire un article sur la twittérature naissante. Mais je n’ai jamais publié cet article. Je me suis pris au jeu et j’ai continué à écrire sur Twitter, durant seize mois à une moyenne d’une dizaine de tweets par jour.
— Dans La Quatrième Théorie, qu’elle est la part de science-fiction et la part de réalité ? Peut-on parler d’un thriller d’anticipation ?— Anticipation oui parce que je joue avec la technologie, la pousse un peu en avant. Mais tout le reste est vrai : politiquement, c’est un roman d’actualité, et qui le sera de plus en plus avec les progrès technologiques… d’où la nécessité d’anticiper l’inévitable.
— Dans le livre, vous évoquez les Freemen. En 2013 qui sont-ils, quel est leur portrait-robot ?— Des hommes et des femmes qui ne se reconnaissent dans aucun parti, aucune église, aucun club. La politique traditionnelle ne les intéresse pas, le vote les indiffère souvent. Ils pensent que le monde ne peut changer que si chacun de nous le change à son échelle. Ils n’attendent rien des puissants. Quand quelque chose ne leur plaît pas, ils agissent plutôt que se lamenter. Ils ne sont pas du genre à manifester pour réclamer. En revanche, ils peuvent se dresser contre les inepties. Exemple : Notre-Dame des Landes.
Les Freemen ont toujours existé. Nouveauté : grâce aux nouvelles technologies, ils ne sont plus seuls. Ils forment un réseau et entrent nécessairement dans le jeu politique.
— Le thème est sous-jacent, mais pas central finalement : quelle est la posture des Freemen vis-à-vis de la protection de l’environnement ?— Le monde est devenu si complexe que personne ne peut prévoir la conséquence d’une décision. Pas évident de dire ce qui est bon ou mauvais à l’échelle globale. Le bon sens est devenu impuissant. Les Freemen agissent donc localement, à une échelle où l’action raisonnée reste possible, mais comptent sur la technologie pour propager les bonnes idées et faire en sorte qu’elles se fécondent, et peut-être se généralisent à l’échelle de la planète. Les décisions partent du bas, et jamais aucune entité supérieure ne doit selon eux les récupérer.
Veja, le créateur de tennis bio, illustre l’attitude freemen. On n’exige pas une loi pour que les chaussures et les fringues soient bio, on se retrousse les manches, on crée ces chaussures et ces fringues et on espère que d’autres suivront. Si c’est le cas, on aboutira à un changement profond de la société, sans qu’aucun puissant ne décide quoi que ce soit. Les Freemen veulent généraliser cette attitude. C’est ainsi que nous aboutirons à un développement raisonné.
— N’est-ce pas un peu l’attitude des ultralibéraux ?— Les Freemen craignent les structures hiérarchiques, qu’elles soient étatiques ou privées. Ils les ont fréquentées, elles les ont souvent rendus malheureux. Ils ressemblent plutôt à des artisans. Ils ne font pas travailler les autres pour eux, ils collaborent avec eux. C’est très différent. Un Freemen ne rêve pas de devenir patron. Beaucoup se sont trouvés dans cette situation, comme Dan le père se Jason dans le roman. Ils font alors tout pour sortir de ce piège.
— La Quatrième Théorie est le premier roman du genre « Twittérature », pourquoi l’avoir transformé en roman papier ? La littérature ne peut donc qu’exister sous cette forme ?— On n’a pas transformé un twiller en roman papier. On a édité le texte, on l’a resserré, on la retravaillé, on l’a achevé. Ce texte existe aujourd’hui sous forme de livre papier et de livre électronique. Les lecteurs choisiront de le lire sous la forme qu’ils préfèrent. Il n’existe pas d’opposition entre les supports. Mais, pour sûr, Twitter n’est pas un endroit pour lire un roman de 550 pages. C’est un merveilleux terrain de jeu littéraire duquel il faut arracher les œuvres pour qu’elles deviennent accessibles et formellement attractives. L’important est de ne pas perdre l’énergie du média originel dans le travail de finition. J’espère qu’on a réussi.
— C’est vrai qu’à vous lire, on a l’impression que vous avez écrit sous stéroïdes !— J’ai expérimenté une nouvelle drogue : les autres, l’interaction sociale durant le travail d’écriture. C’était jouissif. Hyperstimulant. Mieux que la cocaïne ou les amphetamines. Je me demande pourquoi j’ai arrêté. J’ai connu la même sensation que quand dans ma jeunesse je masterisais des parties de jeu de rôle. La Quatrième Théorie est le résultat d’une partie géante.
— J’en viens au titre. C’est quoi la quatrième théorie ?
— C’est la coupable de mon intrigue, la serial killer ! Si je vous réponds plus précisément, plus personne ne lira mon roman.
— Un petit effort. ?
— L’humanité a expérimenté pas mal de théories politiques : capitalisme, marxisme, nationalisme… Elles ont toutes échoué, ou sont en train de le faire, et des hommes et des femmes, aujourd’hui, vivent selon une nouvelle théorie. La quatrième. C’est l’hypothèse du roman. Mais aussi de mes essais.
Et bien sûr, qui dit adeptes d’une nouvelle théorie implique que les adeptes des anciennes ne se laissent pas marcher sur les pieds. Ils veulent empêcher leurs successeurs de voir le jour. Et nous tenons une situation romanesque. Une famille, Idé, Mitch, leurs deux enfants, se retrouvent pris entre les modernes et les anciens, les progressistes et les conservateurs, les Freemen et les Croisés.
— Votre roman sort chez Fayard Noir qu’a-t-il de noir ?
— Les trois premières théories ! En comparaison, la quatrième est lumineuse.
— Polar, thriller, ou même twiller puisque vous avez écrit ce livre sur Twitter… dans quelle catégorie le rangez-vous ?— Selon la quatrième théorie, les cases n’existent plus. C’est un polar, parce qu’il y a de méchants flics. C’est un thriller, par le rythme et les codes narratifs. C’est un roman populaire et en même temps une expérience littéraire oulipienne. C’est aussi un roman initiatique au cours duquel mes héros découvrent la quatrième théorie.
— Écrire sur Twitter, c’est un coup marketing.— Si c’est un coup marketing, il a radicalement changé ma façon d’écrire. Et j’aimerais que tous les coups marketing aient un impact aussi profond sur moi. J’ai écrit grâce à Twitter un livre que je n’aurais jamais écrit. Voilà ce que je retiens.
— C’est vrai que le style de l’écriture est particulier.— On accuse Musso et les auteurs populaires comme lui de se contenter de phrases Sujet+Verbe+Complément. J’ai souvent éliminé l’un de ces trois éléments pourtant essentiels.
— Comment avez-vous eu l’idée d’écrire cette histoire de Freemen et de Croisés ?— En 2003, à Seattle une amie éditrice m’a fait lire le Da Vinci Code, quelques jours après sa sortie. J’en ai parlé à un autre éditeur, Serge Martiano, patron à l’époque de First, qui a même cherché à en négocier les droits, avant de se dire que ce n’était pas son rayon. Il l’a regretté. Mais il m’a suggéré d’écrire un roman dans ce genre qui aurait pour sujet les croisades. Croisades qui n’auraient jamais cessé.
J’ai commencé à me documenter. Un an plus tard de retour à Seattle, nous logeons dans un B&B tenu par des intégristes chrétiens. Ils cherchent à me convertir. Me disent que les guerres au Moyen-Orient n’ont pas pour but le pétrole, mais de placer des hommes sur le terrain pour accueillir les prophètes au moment du jugement dernier.
J’avais alors une histoire qui commençait à tenir. Mais mes premiers essais d’écriture ne donnent rien. Projet en veilleuse jusqu’à ce que je rencontre, début 2006, François Collet, l’initiateur du réseau Freemen, un réseau de blogueurs. J’ai un déclic, il y a bien aujourd’hui une Croisade, mais elle n’oppose pas les chrétiens aux musulmans, plutôt tous les conservateurs aux Freemen.