Marie-Albéric Martin écrit un mémoire sur la twittérature. Je réponds à ses questions.

— Vous considérez Twitter comme un outil pour écrire ?

— Twitter n’est pas un outil. C’est plutôt un lieu social dans l’espace numérique, une sorte de bar. Et comme dans un bar, on peut y écrire, même si la plupart des gens préfèrent discuter au comptoir.

— Considérez-vous twitter comme une contrainte pour écrire ? Comme l’Oulipo ou Perec ont pu le faire ?

— Quand on écrit dans un bar, on a la contrainte de la foule, du bruit, du serveur qui lorgne sur nous… Sur Twitter, la table est si étroite qu’on ne peut pas dépasser les 140 caractères consécutifs. Mais rien ne nous empêche de tourner la page autant de fois que nous le voulons. Donc d’écrire aussi long que nous le voulons.

La véritable contrainte n’est pas dans les 140 caractères, mais dans le regard constant porté sur ces caractères par la foule de nos followers. Si nous envoyons trop de messages, nous les agaçons. Si nous oublions d’écrire, ils nous oublient. Si nous ne les intéressons pas, ils se détournent. En revanche, si nous les intéressons, ils nous répondent, ils commencent à interagir avec nous… et alors nous inventons une nouvelle forme d’écriture, une forme qui était impossible à grande échelle avant la technologie.

Le lecteur entre dans l’atelier de l’auteur. Il n’écrit pas à sa place, mais influence ce qu’il écrit au jour le jour, phrase après phrase. C’est ce que j’ai appelé La stratégie du cyborg. Nous ouvrons des interstices entre lesquels les lecteurs se glissent.

C’est ça la nouveauté littéraire. La forme brève n’est pas nouvelle. La limite des 140 caractères ne pose guère de difficultés techniques. Elle est même arbitraire quand elle devient dictature des 140 caractères. Je la trouve moins féconde comparée à d’autres formes brèves plus anciennes, comme le haïku ou la microfiction, qui toutes deux peuvent être pratiquées sur Twitter.

Il va s’en dire qu’écrire puis publier a posteriori sur Twitter n’a aucun intérêt. Twitter n’est pas une plateforme de publication.

— Est-ce qu’écrire sur Twitter affecte la structure de la narration ?

— Ça affecte à coup sûr la microstructure, c’est-à-dire le style. Comme on ne peut pas démultiplier chaque jour les messages, sans ennuyer ses lecteurs, on est poussé à une certaine concision. On doit aussi considérer chacun des tweets, comme l’épisode d’un long feuilleton. Une nouvelle contrainte apparaît : un tweet doit avoir une certaine unité. Idéalement, une action, une description, une réplique, une pensée… doivent tenir dans un tweet, avec un début, un milieu, une fin. Dans le tweet suivant, qui arrive parfois des heures après, la narration saute plus loin. C’est ce que j’ai essayé de faire dans La Quatrième Théorie.

Cela n’a de sens que pour les auteurs qui pratiquent la narration sur Twitter, ce qui n’est pas le cas de la majorité, la plupart s’adonnent à la sentence isolée, à la littérature par fragment… et sans doute alors que les plus grands littérateurs sur Twitter n’ont jamais revendiqué ce titre. Ils font de la twittérature sans le savoir.

L’influence sur la structure d’ensemble d’un texte est moins évidente. La rapidité de l’écriture, le style mitraillé, impose sans doute également un rythme avec rebondissements, ironie, parodie… J’ai écrit un thriller sur Twitter, je n’avais jamais écrit dans ce genre hors de Twitter. Twitter m’a influencé, sans que je sache exactement comment. Il faudrait comparer de nombreux textes, mais à ma connaissance La Quatrième Théorie, par sa taille, est assez à part.

— Pourquoi une publication papier de ce roman ? Le numérique, Twitter, ne suffit pas ?

— Tu peux écrire dans un bar, mais tu ne peux pas y passer ta vie en attendant que les lecteurs viennent et que tu leur balances à nouveau les mêmes phrases. Écrire sur Twitter, c’est une forme d’art de la performance. Le livre qui arrive après témoigne de cette performance, il n’est pas la performance, une partie de ses qualités esthétiques se sont évanouies. Par exemple, le fait que d’autres tweets se glissent entre ceux de l’auteur, tweets qui vont influencer le lecteur autant que l’auteur, et impacter la narration (interaction involontaire).

On peut écrire avec Twitter, on peut lire en temps réel ce qui est publié, on ne peut pas revenir en arrière. Si on veut témoigner de la performance, la compilation de tweets s’impose. Alors, avec mon éditrice, on a retravaillé le texte. Exactement comme le ferait un cinéaste qui voudrait témoigner d’une performance.

Et puis quand tu as un livre, tu le publies, tu utilises tous les médias qui conviennent. Un jour, il sera directement projeté dans le cerveau des lecteurs. Et ce sera sans doute plus approprié pour cette forme d’écriture.

— Est-ce que la twittérature renouvelle les critères esthétiques de la littérature ?

— Oui, dans la mesure où l’interaction atteint un niveau inégalé, où le lecteur peut éprouver des émotions parce qu’il devient acteur. Il faut regarder du côté du jeu de rôle, que je range souvent dans les arts majeurs de notre temps, au même titre que les jeux vidéo. La twittérature se tend vers ces formes nouvelles. Il faut chercher une esthétique de l’interaction.

— En quoi, la twittérature se distingue de la littérature dite classique ?

— S’il existe des textes classiques aujourd’hui, c’est-à-dire qui deviendront classiques, ils auront été écrits sous l’influence du Web, et sans doute sur le Web et pour le Web. Donc, je prends classique au sens d’ancien et reconnu.

Alors nous ne découvrirons peut-être pas plus de différences entre deux de ces textes qu’entre l’un d’eux et un texte twitté. C’est un peu comme entre le cerveau des hommes et des femmes. Il y a autant de différences entre mêmes sexes que sexes différents.

En revanche, à cause de l’interactivité, l’histoire des textes twittés est différente. Il faut chercher des spécificités du côté de la génétique littéraire. Et ne pas oublier qu’un texte twitté n’existe qu’au moment où il est twitté. Après on se retrouve face à une photographie.

— Cette distinction va-t-elle plus loin dans la recherche esthétique ?

— Ça c’est l’affaire de chaque auteur. Je ne crois pas qu’on puisse généraliser.

— Aujourd’hui vous êtes pessimiste sur l’avenir de la twittérature ?

— Elle devient selon moi impraticable à cause du bruit engendré par l’immense popularité des réseaux sociaux. Difficile décrire dans un bar bondé, où les gens te rentrent dedans, où ils posent leurs fesses sur ta table, où ils l’encombrent de leurs consommations. Les auteurs ont souvent préféré les moments tranquilles, avec du monde, mais pas trop.

Aujourd’hui, il devient difficile d’entretenir une interaction féconde. Trop de messages se glissent entre les messages de l’auteur. Autant un parasitage minimal engendre une émotion propre, autant le brouillage généralisé engendre un grand n’importe quoi. Et quand il n’y a plus interaction, il n’y a plus selon moi twittérature.

La twittérature aura été un moment dans l’histoire de la littérature, aussi bref que le cubisme… et qui sait, il aura peut-être une influence durable.

— L’institut de la twittérature comparée vous en pensez quoi ?

— Il a un grand rôle à jouer dans le domaine de l’éducation. Même si la twittérature devient impraticable, ou stérile sur le plan créatif, ce que réfuteront ses fondateurs, elle peut devenir un fantastique outil d’initiation à l’écriture. Ils font un travail fantastique de ce côté. Ils mobilisent les profs, les écoles. Après le Canada, ça commence à bouger en France.

— Pour finir, pouvez-vous me dire si vous considérez la twittérature comme une nouvelle forme de littérature, au même titre que la nouvelle ou le cadavre exquis ?

— J’ai essayé de classer les œuvres twittés. J’ai fini par aboutir aux deux catégories dont j’ai déjà parlé, les fragments et les feuilletons. Ces deux formes existent depuis longtemps. Si on leur ajoute l’interaction, la twittérature est à coup sûr une nouvelle forme.

Mais cessons de parler de twittérature. 1/ Twitter est une marque commerciale. 2/ La contrainte des 140 caractères est anecdotique. Deux bonnes raisons d’abandonner ce nom ridicule. Si nouvelle littérature il y a, il lui faut un nouveau nom : action-littérature, cyborg-littérature, net-littérature… L’interaction n’est pas le propre des réseaux sociaux, mais du Net dans son ensemble. La révolution, sous de multiples formes, se joue partout sur le Net, surtout sur les blogs. Alors on peut parler de nouveaux codes, de nouvelles esthétiques, d’un nouvel engagement éthique…