Cette somme forfaitaire versée à chacun de nous de manière inconditionnelle de la naissance à la mort n’est autre qu’une façon de décentraliser la création monétaire.

Cet argent n’est pas pris de la poche de quelqu’un, il est plus ou moins injecté dans l’économie ex nihilo. Il en va toujours ainsi avec l’argent (pour preuve, il n’a pas toujours existé). Ce n’est pas quelque chose de réel, mais juste une commodité ajustable. Passons.

Par « décentraliser » certains entendent cette mode administrative de déléguer les problèmes vers les régions, ce qui revient à élargir la base de l’arbre hiérarchique, mais sans couper le cordon avec le gouvernement central. Cette décentralisation à la socialiste ne l’est que par le nom. Au contraire, décentraliser revient à couper le cordon. À faire que quelque chose se produise partout sans lien hiérarchique, avec renoncement du pouvoir au contrôle coercitif.

À ce stade, cette option coincera pour le revenu de base. Comment une mesure décentralisée, qui implique de renoncer au pouvoir, peut-elle être prise par un organe centralisé, qui ne vit que par le pouvoir et sa perpétuelle accumulation ?

Il est bien rare que quelqu’un coupe la branche sur laquelle il est assis. Gorbatchev ne l’a fait que par maladresse. Un pouvoir ne renonce au pourvoir que quand on le lui arrache. Il faudra donc se battre pour le revenu de base, et pas seulement se battre dans l’État de droit, car il faudra transformer la nature profonde de cet État.

Ce passage par la force, pouvoir contre pouvoir, me préoccupe. J’aime l’idée du revenu de base mais je ne vois pas comment elle pourrait advenir par un chemin éthiquement acceptable… surtout un chemin qui ne la nierait pas elle-même.

En écrivant Le geste qui sauve, j’ai appris qu’un changement de comportement ne survient qu’avec une approche multimodale. Il ne suffit pas d’une nouvelle technologie, le revenu de base comme technologie monétaire, il faut expliquer, former, laisser les gens adopter chacun à leur rythme, il faut mesurer l’efficacité des actions, leurs progressions, créer des boucles de feedback… Tout cela n’advient que si la nouveauté peut se passer de la main à la main. Que si chacun peut se faire le prosélyte de la mesure. Que s’il peut convaincre ses amis de le suivre. Pensez à Gandhi. Cela implique qu’à tout moment chacun a le choix d’en être ou non.

Le revenu de base ne peut donc être imposé par le haut. Il doit naître avec un système monétaire émergeant. Il n’est pas un combat politique au sens traditionnel, mais une technologie qui doit être déployée dès à présent par quelques aventuriers. Toute autre approche, le lobbyisme dans les vieilles instances, n’est que perte de temps.