En donnant à chacun de quoi subvenir à ses besoins élémentaires, le revenu de base conférerait aux citoyens d’une zone monétaire le pouvoir de dire « Non ! ».

— Non, je ne fais pas ton ménage si tu ne me payes pas mieux.

— Non, je ne ramasse pas tes poubelles si tu ne me payes pas mieux.

— Non, je ne m’occupe pas de tes enfants si tu ne me payes pas mieux.

— Non, je ne changerai pas tes pansements si tu ne me payes pas mieux.

Ce serait un électrochoc dans la société hiérarchique bien ordonnée. Plus rien ne serait prévisible, les esclaves se révolteraient. Voilà pourquoi les esclavagistes n’accepteront jamais cette réforme du système monétaire et se battront contre elle jusqu’à la mort.

D’un autre côté, ne leur en déplaise, le revenu de base aurait l’intérêt de consolider la société, et même de la rendre antifragile, qualificatif inventé par Taleb pour décrire un état plus solide que le solide, caractérisé par un désordre non excessif qui a pour effet de stabiliser le système.

Des « non » imprévisibles et des « oui » tout aussi surprenants engendreraient un bruit perpétuel qui nous entraînerait à réagir en cas d’imprévus et nous aiderait à mieux encaisser les black swans.

Taleb donne l’exemple de la Suisse fédérale, perpétuellement agitée par des référendums, venant contrecarrer les plans des politiciens, selon un mécanisme bottom-up. Toujours d’après Taleb, cette agitation, parfois désagréable à vivre, n’engendre pas moins des effets bénéfiques sur le long terme. La Suisse est le pays le plus stable, et pour cette raison, les riches y placent leur argent, assurant la prospérité du pays.

Alors il ne serait pas surprenant que la Suisse devienne le premier pays à adopter le revenu de base. Tous les Suisses en ont entendu parler. Tous savent s’ils voteront oui ou non. Des partis l’ont placé à leur programme. La Suisse habituée au bruit acceptera sans doute sa légère augmentation, en échange d’une antifragilité plus grande.