Sur France Info, j’entends évoquer que la vitesse sera bientôt encore abaissée sur nos routes, dans le but de diminuer la mortalité. L’émission oppose un conseillé ministériel, Monsieur État, favorable à la réduction, et un de ses opposants, Monsieur Auto, président d’une assos d’usagers.
Monsieur État annonce que plus on augmente la répression, moins on a de tués sur les routes. On est passé d’un triste record de 16 545 victimes en 1972 à 3 653 en 2012. Monsieur Auto rétorque que la baisse de la vitesse n’est pas nécessairement corrélée avec celle de la mortalité. Il invoque l’amélioration des véhicules et des infrastructures. Monsieur État réfute cet argument. Il affirme qu’après la multiplication des radars en 2002, le nombre de victimes à soudainement baissé, en l’affaire de quelques mois, sans que les véhicules ni les infrastructures ne s’améliorent aussi soudainement. Victoire de Monsieur État confirmée quand on regarde l’évolution des chiffres.
Mais Monsieur État se prend les pieds dans le tapis. Il avoue qu’on peut imputer la mortalité à trois principales causes : la vitesse, le manque de vigilance et l’alcoolémie. Sans se démonter, il reconnaît que nos actions contre les deux dernières, surtout la dernière, n’ont aucun effet. Alors plutôt que de traquer ces assassins d’alcooliques, il préfère nous punir collectivement. Plutôt que de travailler sur la responsabilité individuelle, il choisit de nous considérer comme une masse informe.
Pour l’État, s’attaquer drastiquement aux ivrognes reviendrait à pénaliser l’industrie des spiritueux. Ne pas surlimiter la vitesse impliquerait moins de rentrées fiscales. Plutôt que des mesures ciblées, on choisit la coercition, les panneaux qui s’appliquent à tous. Plutôt que s’attaquer aux responsables, on frappe tout le monde. Et tacitement, on accepte que des ivrognes roulent à 80 sur nos routes pendant qu’en Suède, pays le moins accidentogène, on roule toujours à 90 (alors qu’on roule moins vite aux USA où il y a proportionnellement beaucoup plus de morts).
C’est une pente naturelle pour le fonctionnaire. Il refuse de nous voir comme des individus. Il favorise bien souvent ce qui nous coûte à ce qui nous sert. Sur les routes, nous savons par exemple que moins de signalisation implique moins d’accidents, mais l’État ne songe qu’à sursignaliser pour surverbaliser. Il est incapable de quitter des yeux ses entrées fiscales.
Si nous voulons réduire le nombre de morts, regardons le problème dans son ensemble. Pour commencer, admettons que nous avons depuis 2005 franchi le peak car. Alors peut-être que la diminution du nombre de tués s’explique en partie parce que nous roulons moins, surtout les jeunes qui se fichent éperdument des bagnoles. Dans cette perspective, l’argument imparable de Monsieur État contre Monsieur Auto doit être tempéré. Par ailleurs, si la voiture est dangereuse, pourquoi le gouvernement en soutient-il l’industrie, nécessairement moribonde suite au peak car ? Et quitte à la soutenir, ne devrait-ils pas imposer la commercialisation de voitures qui ne tuent pas (on y arrive bien avec les F1) ? Des radars embarqués pour stimuler la vigilance pourraient être obligatoires. D’autres technologies pourraient nous faire tendre vers le zéro tué. Non, on leur préfère des panneaux en ferraille.
Parlons franchement. L’objectif est-il de diminuer la mortalité ? Si oui, agissons en priorité là où ça fait mal. La pollution routière tuerait en France environ 20 000 personnes/an. Interdisons le diesel. Imposons de nouvelles normes. Pénalisons ceux qui ne les respectent pas (et non tous ceux qui roulent). Construisons plus de glissières, plus de trottoirs, plus d’échangeurs. Mais en vérité gouvernement répugne 1/ à responsabiliser, 2/ à réduire ses entrées fiscales.
L’histoire de Rome peut illustrer ce mécanisme. Au temps de sa prospérité, l’empire pillait les pays extérieurs et les citoyens étaient libres. Quand tous ces pays ont été conquis ou ruinés, l’empire a pillé ses citoyens et réduit leur liberté. En sommes-nous au même point ?
Tous les prétextes sont désormais bons pour nous taxer. Même notre santé. Je n’ai rien contre la diminution de la vitesse, mais essayons d’agir avec autant d’énergie dans toutes les autres directions. Faute de signes clairs en ce sens, je continuerai de penser que nous suivons la même pente que Rome.
Il ne s’agit pas pour moi de dénoncer l’État mais de le critiquer quand il noue pille tout en nous déresponsabilisant. La sécurité routière n’est qu’une métaphore d’un problème plus vaste. Le tabac tue 73 000 personnes/an. Pourquoi ne pas le taxer davantage ? Le gouvernement souhaite-t-il réellement notre bien ?