« Faire ce que je veux, quand je le veux, comme je le veux » pourrait être la définition la plus simple et la meilleure de la liberté. Sans doute trop simple. Que signifie « je veux » ? Suis-je sûr d’avoir voulu telle ou telle chose ? Alors quid du libre arbitre ?

Certains philosophes comme Spinoza en nient tout simplement l’existence, d’autres nous accordent quelques rares occasions de le mettre en action, rares ceux qui osent prétendre que nous sommes toujours maîtres de nos actes. De toutes évidences une multitude de déterminismes nous contraignent. D’où, par exemple, la complexité de juger les criminels.

Comme définir la liberté en recourant à « je veux » ne nous avance en rien, comme définir d’une manière générale est une aventure périlleuse, surtout après le passage de Wittgenstein, il est peut-être plus sage de caractériser la liberté.

Les libéraux aimeraient se contenter du très beau « Ma liberté s’arrête où celle des autres commence. » Mais cette formule ne nous est d’aucune utilité. Imaginons que je sois mélomane, pris d’une telle passion que je suppose mes semblables tout aussi passionnés. Quand je mets la musique à tue-tête, je n’imagine pas un instant les importuner. J’ai pourtant de bonnes chances de me faire insulter.

Le plus souvent il nous est impossible de savoir où notre liberté s’achève et où celle des autres commence. Cela ne serait possible que si nous nous ressemblions tous. Que si nous étions des clones. Toute caractérisation de la liberté en référence à ce qu’est l’autre, à ce qu’il pense, à ce qu’il croit revient de fait à nier sa liberté d’être autrement, de ressentir autrement, de voir le monde selon une perspective différente.

Alors les libéraux prétendent que la liberté serait « Ce qui peut être fait sans nuire aux autres. » Et systématiquement ils se heurtent au même obstacle : l’ignorance des autres, de ce qui leur nuit ou pas. Et pire la nuisance est rarement immédiate, elle peut apparaître dans le temps, au bout d’une chaîne d’actions et réactions imprévisibles. Denis Papin, l’inventeur du moteur à explosion en 1690, n’a pas pensé qu’il pourrait nous nuire en provoquant des siècles plus tard des bouleversements climatiques.

Nous savons intimement ce qu’est la liberté quand on nous la retire. Nous en faisons la découverte dès l’enfance quand nos parents nous disent « Non, pas ça. » Nous la percevons avec acuité quand elle nous manque, et cette perception nous suffit à la définir. Il nous reste alors à dénombrer ses champs d’application. Liberté de vote, de mouvement, d’expression, d’association, de culte… et de lutter avec acharnement pour qu’institutionnellement ils s’étendent.

Mais c’est encore insuffisant. Quand Andreï Tarkovski se retrouve en Italie dissident de l’URSS, il découvre que les Occidentaux ne sont pas plus libres que les Soviétiques. La liberté n’est pas théorique, elle se vit, elle se gagne et se perd. Et, par-dessus tout, elle s’apprend, au contact des hommes et des femmes libres, de leurs œuvres et de leurs rêves.

Tant que les autres ne sont pas libres, nous n’avons aucune chance de nous libérer nous-mêmes. C’est bel et bien l’autre qui fait notre liberté. On ne se libère jamais en solitaire. « Ma liberté commence où celle des autres m’amène. »

PS : J’ai écrit ce texte en pensant à Louis Boël qui prépare sous ce beau titre C’est l’autre qui fait notre liberté une compilation de ses billets de blog.