Cité dans un billet sur le commonisme, présenté comme le nouvel isme de notre époque, réunissant les adeptes du libre, les défenseurs des biens communs et donc de la planète, je suis tenté de me questionner quant à mon appartenance à cette doctrine.

Le problème : personne ne me paraît capable d’en poser un début de définition. Il suffit d’assister à la rencontre de deux présupposés commonistes pour s’en convaincre. Ils ne sont en général d’accord sur pas grand-chose, surtout pas sur les méthodes pouvant conduire d’un point A vers un point B.

Existe-il une valeur ? Un principe sur lequel s’entendraient tous les commonistes ? Peut-être tout au plus cette idée que ce qui est abondant ne doit pas être raréfié artificiellement. L’eau par un barrage. La terre par des barbelés. L’air par des masques à péage.

Il faudrait alors s’entendre sur ce qui est abondant et ce qui ne l’est pas. De toute évidence, les biens matériels (eau, terre, air…) ne sont pas abondants (on n’a fait que le croire pendant longtemps). Et la reconnaissance de cette finitude est peut-être un bon point de départ à un accord. Parce que la finitude implique une gestion des biens communs.

Par opposition, il existe des biens abondants. Le moins intuitif : l’énergie. Tant que le soleil nous bombarde de rayonnements, nous recevons plus d’énergie que nécessaire. Alors surgissent de lobbies pour nous persuader que le tout solaire ne fonctionnera jamais. Il ne faudrait pas que nous devenions tous les producteurs de cette source d’énergie décentralisée. Oui, je suis pour cette décentralisation. Je suis pour que chacun ait le droit de produire son énergie. Je ne veux pas que quelques institutions publiques ou privées s’arrogent ce droit. Je suis pour un monde où on limite le pouvoir des constructeurs de barrage.

Plus communément, mais encore de façon très underground, on parle de l’abondance monétaire. L’argent, variable mathématique, peut être créé indéfiniment. Comme nous serions libres de créer notre énergie, nous pourrions créer notre monnaie… et l’échanger avec ceux qui l’accepteraient.

Mais c’est en regard des biens immatériels que les débats sont aujourd’hui les plus vifs. Une œuvre copiable quasi gratuitement doit-elle rester rare ? Doit-on légalement empêcher les gens de s’en emparer ? Je trouve toutes ces questions très pragmatiques contrairement à ce que l’auteur du billet présuppose. Nous avons d’un côté un moyen d’action, de l’autre un moyen de répression. On n’est pas vraiment dans la philosophie, encore moins dans la religion. Mais plutôt dans le comment on vit ensemble compte tenu des technologies dont nous disposons et de l’état de notre monde. Si les commonistes sont ceux qui se posent ces questions, j’en suis.

Mais j’ai déjà une certitude : nous proposons tous des réponses différentes. Le commonisme n’est ni un monisme ni un dualisme, c’est un pluralisme, ce qui empêche de fait les commonistes de se réunir (et même bien souvent de se reconnaître).

L’auteur du billet néglige ce point ce qui lui fait commettre un contresens quand il écrit « Le revenu de base est perçu par beaucoup comme la voie vers le jardin d’Éden. » J’ai décrit un jardin d’Éden comme un concept mathématique, un point où aucune simulation ne peut conduire mais d’où des simulations peuvent démarrer.

Un jardin d’Éden mathématique est tout sauf un espace transcendant. C’est au contraire un truc vulgaire à essayer pour voir si à partir de lui le moteur démarre. Et il faut en essayer beaucoup parce que l’imprévisibilité des systèmes complexes interdit d’avoir une quelconque assurance a priori.

Par nécessité, les commonistes divergent, explorent chacun dans les directions qui leur paraissent fécondes et que l’évolution sélectionnera. Ils ne courent vers aucune transcendance. La pluralité des possibles les attend. Le revenu de base n’est considéré que comme un point de départ éventuel vers des histoires innombrables, d’autant qu’il existe diverses visions du revenu de base, et que personne à moins un fou ne pourrait affirmer que l’une conduirait avec certitude à une humanité meilleure.

Cette idée même de l’humanité meilleure m’est étrangère. Je ne poursuis qu’une vie meilleure. Je critique ce qui m’entrave, je cherche à m’en libérer. Si c’est un barrage, je tente de le miner avec mes moyens. C’est à ce moment que mon égoïsme rejoint celui des autres et se transforme un altruisme très pragmatique.

Si le commonisme est une idéologie, c’est une idéologie sans transcendance. Quand nous disons que nous ne pouvons créer qu’en nous appuyant sur les créations antérieures, nous faisons simplement appel à la pensée évolutionniste. Nous nous plaçons dans une succession de causes et d’effets. Nous ne débarquons pas sur la scène comme un œuf sur le plat (ce qui pour le coup serait un point de vue idéaliste et religieux). Nous avons une dette congénitale. Nos œuvres sont en partie collectives (ne serait-ce que parce que nous consommons des ressources rares pour les mener à bien).

Les commonistes peuvent peut-être s’accorder sur ce point. Mais après ? Il n’existe pas un scénario, mais encore une fois des choses à essayer dans un spectre qui va d’un droit d’auteur autoritaire jusqu’à une libre copie idéale. Le commonisme n’est pas une doctrine mais un simple point de départ à une multitude de doctrines.