Alors que je théorise à travers le Send l’écriture web, cette écriture d’aujourd’hui qui imprègne tout ce que je touche, un jeune éditeur qui vient de lire L’homme qui lave les mains me laisse un message  sur mon répondeur :

Thierry, je ne peux pas prendre ton texte, c’est à la fois un roman et un essai, une biographie et une hagiographie, c’est scientifique et politique, objectif et militant. Je ne saurais pas qu’en faire.

Soit cet éditeur est faux-cul. Il n’a pas osé me dire « Je n’aime pas ton texte, je n’ai pas envie de le publier », ce que je peux très bien entendre. Soit, pire, il est pleutre, il a peur de prononcer un jugement que les lecteurs pourraient réprouver. Soit il pense vraiment ce qu’il m’a dit, alors je suis très inquiet au regard de sa jeunesse. S’il n’aime pas à cause de la confusion des genres, je suis bien heureux de ne pas travailler avec lui.

En ligne, nous avons fait exploser toutes les barrières, nous jouons de leur transgression. Dans la lignée de Musil, Broch, Proust, nous basculons du romanesque à la théorie sans plus aucun scrupule. Nous écrivons dans une forme fluide, non genrée selon les vieux critères et qui demain en appellera de nouveaux. En attendant, nous flottons avec délectation entre ce qui a été et ce qui n’est pas encore.

Nous nous moquons de ce que veut la masse monétisable. Nous ne sommes pas des marchands. Nous cherchons maladroitement à inventer les cases que les lecteurs aimeront une fois qu’elles seront normalisées et industrialisées. À ce moment, la création ce sera déplacée ailleurs.

Je revendique la confusion. J’ai bouclé mon Ératosthène depuis quelques mois, encore un livre en stand-by pour des considérations éditoriales, peut-être justement parce que c’est un monument en l’honneur de la confusion.

J’aime bien me sentir dans la peau d’un confus. J’ai envie de dire aux clairvoyants que leur transparence m’ennuie. Alors j’ai bien le droit en retour de les ennuyer avec mes textes.

Et heureusement que j’ai pris du recul, que je me moque de l’aval d’un éditeur. Savoir que ce que j’écris sera dans tous les cas publié me suffit, me libère, me permet de dire ce que je ne devrais pas dire. Le web fait de chacun de nous des rentiers de la littérature.