Je quitte Genève. Je prends le tram pour la gare. Il est presque vide. Devant moi un papa accompagne son fils à l’école. Il lui apprend à lire. Ils sont indiens, je ne les comprends pas. La main de l’homme saisit l’oreille du garçon, la tord. Le petit corps se rétracte, essaie de trouver quelque chose à dire. Quel âge doit-il avoir ? Peut-être six. Il est si menu dans sa doudoune orange. Mon fils de six ans fait le double de lui. La main du père, je n’ose plus l’appeler papa, revient vers l’oreille. Je tressaille. J’ai envie de m’interposer. Je n’ose pas et je me sens minable. Lorsque cet enfant voudra tuer son père, les psychanalystes invoqueront le complexe d’Œdipe et d’autres conneries semblables. La vérité est plus crue : ce père torture son fils tous les matins. Il lui parle avec une violence invraisemblable. Il le maltraite physiquement. C’est un monstre qui mérite une punition immédiate. J’ai envie de pleurer. Je suis tout ratatiné sur mon siège. J’ai du mal à respirer. La décharge de violence me submerge. Je pense à ma propre violence, à mes propres excès tout aussi inacceptables.