Je vous propose un mini jeu de rôle. Imaginez que vous travaillez dans une prestigieuse université. Vous êtes chercheur. Vous effectuez une découverte susceptible de sauver 8 millions de personnes chaque année et d’engendrer des bénéfices colossaux. Que faites-vous?

Scénario 1. Vous brevetez la formule.
Scénario 2. Vous la publiez et en offrez l’usage à qui le veut.

Essayez de répondre le plus franchement possible.

Scénario 1

Avantages

  1. Contrôle de l’usage.
  2. Bénéfices financiers.
  3. Stimule la recherche des labos concurrents.

Désavantages

  1. Prix sur le marché élevé (rareté du produit).
  2. Concurrence acharnée entre les sociétés.
  3. Risque de suspicion d’effets secondaires (pensez à ce qui se passe avec de nombreux vaccins).

Scénario 2

Avantages

  1. Propagation très rapide puisque tout le monde peut l’adopter sans rien demander.
  2. Prix sur le marché très bas puisque tout le monde dispose des mêmes informations.
  3. Pas de réelle concurrence entre les producteurs qui dès lors peuvent collaborer, avec un bénéfice évident pour la recherche (ils travaillent sur des améliorations plutôt que de réinventer la roue).

Désavantages

  1. Pas de bénéfices particuliers pour l’innovateur (les bénéfices sont répartis entre tous ceux qui se joignent à l’aventure).
  2. L’innovateur doit être rémunéré par une institution, ce qui implique un État providence ou une aide de toutes les entreprises qui profitent de l’innovation (il a donné, il faut que les autres donnent en retour).
  3. Sans une prise de conscience éthique de l’ensemble de la société, le donateur risque la ruine.

Scénario 1 Correspond à l’économie traditionnelle que j’appelle prédatrice. Il faut faire mieux que l’autre, quitte à l’écraser.

Scénario 2 Correspond à l’économie de paix. Prix bas, davantage de gens en bénéficient, pas de concurrence mais collaboration.

Tout innovateur, et en fait chacun de nous, doit aujourd’hui se demander s’il se place dans l’économie de prédation ou dans l’économie de paix. Sachant qu’on peut être tantôt dans l’une, tantôt dans l’autre.

On appelle « commonistes » ceux qui choisissent l’économie de paix. Ils ont pour souci la gestion harmonieuse des biens communs, et d’augmenter la quantité de biens communs à notre disposition.

Il existe deux sortes de biens communs.

  1. Les biens rares comme la biosphère ou les énergies fossiles. Pourquoi seul celui assis sur un puits de pétrole aurait le droit le l’exploiter ? Le pétrole appartient à l’humanité.
  2. Les biens abondants, l’air par exemple, ou qui peuvent être rendus abondants, une formulation pharmaceutique par exemple. Pour libérer le potentielle abondance des biens, nous avons besoin des technologies de communication, voilà pourquoi l’économie de paix ne se développe réellement qu’aujourd’hui.

Pour le commoniste, les biens communs doivent être partagés entre tous. Un pauvre doit avoir accès aux dernières technologies médicales dès que possible. Sauver des vies est prioritaire à gagner de l’argent.

Ce qui est vrai pour la santé est aussi vrai pour l’éducation, l’alimentation, et également pour la culture. Si je suis pauvre, je dois pouvoir lire tous les livres (et c’est pour cette raison qu’il existe des bibliothèques publiques).

En tant qu’écrivain, je suis en quelque sorte innovateur. On peut considérer mes textes comme l’équivalent d’une formule chimique. J’ai donc le choix entre l’économie de prédation et l’économie de paix. Pour Le Geste qui sauve, le récit d’une innovation elle-même offerte, le gel hydro-alcoolique, j’ai choisi l’économie de paix.

PS : J’ai écrit ce texte comme canevas de ma conférence à la FER, Genève.

Le prof avec sa formule, l'auteur avec son texte (photo Federal Studio).
Le prof avec sa formule, l'auteur avec son texte (photo Federal Studio).