Les rares fois où j’écoute la radio, parce que je suis obligé de prendre la voiture, j’entends des choses étonnantes. Une nana sur France Info déclare que l’écriture au clavier impliquerait une uniformisation de l’écrit, et de la pensée, parce que toutes les lettres seraient formées semblablement. Pourquoi laisse-t-on dire des choses pareilles ? Peut-être à cause d’un fond technophobe comme l’explique Yann Leroux.
La réfutation est pourtant simple. Tout le monde écrit au clavier depuis au moins trente ans et personne n’écrit la même chose. Et ne jouez pas aux cyniques pour confondre toutes nos productions dans la même médiocrité.
Cette nana voulait, en fait, défendre l’écriture manuscrite à l’école. Son utilisation d’arguments fallacieux prouve sans doute que cette écriture n’est plus défendable. Mais faut-il la remplacer par l’apprentissage de l’écriture au clavier ? Je n’en suis pas sûr. Nous risquons vite de nous doter de nouvelles interfaces qui ringardiseront bientôt le clavier. L’important est d’apprendre à écrire, indépendamment de toute technologie. Peut-être, on ne devrait rien imposer, se contenter d’attendre un résultat, chaque enfant choisissant la méthode la mieux adaptée pour lui.
Et nouvelle rafraîchissante, les auteurs commencent à diversifier leurs outils d’écriture en même temps que les développeurs se préoccupent de leurs besoins.
George R. R. Martin écrit sous DOS avec WordStar. Rien de très étonnant. Nous prenons tous conscience que des outils comme Word sont trop sophistiqués, trop cosmétisés, trop pensés pour écrire des choses que nous n’écrivons pas, genre des lettres avec du papier à en-tête, alors nous cherchons ailleurs. Et pourquoi pas WordStar avec son minimaliste embedded. Ce serait oublier qu’il existe des solutions un peu plus modernes.
J’ai de plus en plus de mal à écrire avec Word. Je ne l’utilise plus que lors du processus de finalisation d’un livre, quand je travaille avec des éditeurs et des correcteurs, parce que je ne vais pas leur imposer un autre outil et parce que le mode correction de Word est irremplaçable.
Pourquoi suis-je en train de changer de stylo ? Peut-être parce que je n’ai utilisé qu’une seule plume durant près de trente ans. Je prends conscience que changer d’outil en fonction des projets d’écriture, c’est comme changer de paysage, c’est comme changer de climat, et c’est à coup sûr altérer mes mécanismes cérébraux. DayOne s’est imposé pour l’écriture du blog depuis quelques mois, aussi pour lâcher des idées en vrac, sans me soucier de créer des documents.
Sous DayOne, j’écris en MarkDown, avec une interface encore plus minimaliste que celle de WordStar. Pour écrire, je n’utilise que le clavier, jamais le trackpad, jamais de fonction de mise en forme, je suis plongé dans la seule saisie, rien ne m’en détourne, et c’est pour ça que Word me devient pénible. Il implique trop de diversions. OK, elles sont devenues inconscientes avec les années, mais elles nous freinent néanmoins (avec une accumulation de gestes inutiles).
Un écrivain n’a pas besoin d’un outil de mise en page. Il lui faut une page blanche avec une ergonomie d’affichage maximisée pour l’écriture. On peut tout désactiver sur Word, mais cela exige un petit effort, un effort de trop en fait, trop facile de tout dérégler parce que trop de réglages possibles. Tout cela est perte de temps.
Aujourd’hui, j’imite le peintre qui passe de l’aquarelle à l’huile puis à l’acrylique. Chaque technique influence la forme et chacune s’adapte à différents modes d’écriture et à différents sujets. J’ai écrit Le Geste qui Sauve avec Scrivener. J’écris mes vagabondages avec Daeladlus Touch sur iPad, je les peaufine sur Mac avec Ulysses III. Il existe des dizaines d’autres outils. Le monde du traitement de texte bouge et il ne devrait cesser de le faire maintenant que les outils d’écritures eux-mêmes se multiplient. Nous avons à nouveau plusieurs stylos dans notre trousse.
C’est une expérience nouvelle, après des années de stabilité. On avait Word, une espèce de couteau suisse généraliste, on est en train de lui préférer des outils séparés et plus spécialisés. Parce qu’inversement, peut-être, les auteurs deviennent eux-mêmes plus généralistes, moins prisonniers d’une seule forme.