Thierry CROUZET
La nécessité logique du revenu de base
La nécessité logique du revenu de base

La nécessité logique du revenu de base

Pour justifier la nécessité du revenu de base certains invoquent des raisons éthiques, d’autres des principes philosophiques, d’autres des positions politiques, tous posent des postulats ou des croyances. Une méthode moins discutable est peut-être tout simplement d’invoquer une logique situationniste.

Je voudrais discuter la proposition suivante :

Prix tendent vers zéro => Revenus tendent vers zéro => Revenu de base

Prix tendent vers zéro

Prix de la copie des informations, de leur diffusion, de leur stockage. Tout le monde a compris ce point. D’autres prix tendent vers zéro de façon moins apparente. Prix de la production avec la robotisation et les imprimantes 3D. Prix des services avec les algorithmes de plus en plus intelligents. Prix de l’énergie avec le développement inévitable des énergies renouvelables. OK, la technologie ouvre de nouveaux champs, mais eux-mêmes vite dévolus à la dégringolade tarifaire. Certains domaines resteront étrangers à ce mouvement mais ils contribueront à une part de plus en plus réduite de l’économie réelle.

Revenus tendent vers zéro

La possibilité de copier gratuitement les biens culturels implique que de moins en moins de gens les achètent. Donc les créateurs gagnent de moins en moins d’argent. C’est le cas dans un domaine que je connais bien : l’édition.

La gratuité ou quasi gratuité n’implique pas obligatoirement la ruine du créateur, ses fans pouvant comprendre la nécessité de le rémunérer pour qu’il continue à travailler, mais les fans eux-mêmes voient leurs revenus baisser, ou s’évanouir parce que des machines ou des algorithmes les remplacent peu à peu.

La libre copie ne ruinerait pas la création si le reste de la société n’était pas en même temps soumis à une perte massive du pouvoir d’achat, pouvoir d’achat qui se concentre dans les mains des possesseurs de machines et d’algorithmes.

Revenu de base

Ford a jadis compris qu’il devait payer ses ouvriers pour qu’ils puissent se payer les voitures qu’ils fabriquaient. Aujourd’hui, on remplace les ouvriers par des processus automatisés qui n’ont pas à être rémunérés, juste upgradés.

Si la masse de ceux qui ne travaillent pas pour un salaire (artistes, développeurs de solutions libres, parents qui s’occupent de leur famille, bénévoles…), masse vouée à croître démesurément, ne possède aucun revenu, les possesseurs de machines aussi verront leurs recettes diminuer. Ils doivent donc repenser à Ford. Comme ils n’ont plus guère d’employés humains, ils doivent rémunérer d’une autre façon leurs clients potentiels.

Le revenu de base s’impose. Il reconnaît que dans une société évoluée tout travail joue un rôle politique, tant bien même il n’est pas directement rémunéré. Il serait temps de prendre conscience, sinon les crises n’ont pas fini de se répéter, en même temps que se creusera le fossé entre ceux qui reçoivent un salaire et les autres, toujours plus nombreux, toujours plus désespérés, et prêts un jour ou l’autre à user de la violence.

Aujourd’hui, toutes les politiques tentent d’enrayer le changement. En interdisant la libre copie par exemple, comme jadis certains moines copistes ont tenté de faire interdire l’imprimerie. Combat naturels mais perdu d’avance. Alors dans un monde dominé par la machine, l’homme doit être payé pour vivre, c’est-à-dire pour créer.

Post-scriptum

J’ai écouté Bernard Stiegler débattre en bon avocat de ces idées. Il en parle comme si lui et ses amis d’Ars Industrialis les avaient inventées. Et beaucoup de journalistes et de lecteurs en France le croient. On me dit souvent « C’est une idée de Stiegler. » Et je dois m’efforcer d’expliquer « Non, c’est une idée aussi défendue par Stiegler. » Ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Et la nécessité de cette explication suffit à démontrer que ces idées n’ont pas encore percolé dans la société (ce n’est pas une raison pour les copyrighter).

Hiswe @ 2014-05-24 17:17:00

Il me semble y avoir un biais dans l’analyse.

Je ne pense pas que le prix de l’énergie va décroître, ni même celui des ressources de manière générale (eau. gaz…). On est, pour moi, en situation de “Peak Everything”.

Peut être que les prix dans l’économie numérique vont descendre, mais pour le reste j’en suis moins sûr.

Après pour ce qui est du “partage” du travail ou du fossé entre “improductif” et “productif”, j’avoue que cela soulève beaucoup de question.

Mais la question ne me paraît pas être de répartir l’abondance, mais plutôt de répartir la rareté.

Thierry Crouzet @ 2014-05-24 19:31:00

SI j’étais le seul à prévoir le coût nul de l’énergie, je m’inquiéterais :-) On veut juste nous faire croire le contaire, et tu sembles le croire.

Anna @ 2014-05-25 13:00:00

Intéressant... Mais ce revenu de base -qui fait actuellement l’objet d’une incroyable campagne médiatique mondiale (d’où méfiance...)- n’est-elle pas tout simplement une manière cynique de ratifier le dumping social à échelle mondiale ? On donne un peu de fric pour calmer la grogne sociale qui bourgeonne partout et pour la maintenir dans le système consumériste, mais à quand l’augmentation ?

Rosselin @ 2014-05-25 17:27:00

Quid du prix d’une pomme ? D’un verre de vin ou d’un poulet grillé ? D’un instrument de musique ? D’un vélo ?

Thierry Crouzet @ 2014-05-25 19:07:00

Les prix même des pommes baissent... quand on mettra des robots dans les vergers, ils tendront vers 0. Les instruments de musique, on les imprimera. Tout ce qui est automatisable, implique des coûts qui tendent vers zéro. C’est une tendance qu’il faut prendre en compte. Qui implique la fin du plein emploi à l’ancienne. Et c’est parce que certains biens conserveront un prix qu’il faut un revenu de base.

Thierry Crouzet @ 2014-05-25 19:08:00

Tu parles d’une incroyable campagne. Moins de 50 000 personnes ont signé la pétition euroépenne en France. Il en fallait 200 000. Le but n’est pas de donner un peu de fric, mais assez de fric pour que les gens puissent refuser les boulots de merde.

Hiswe @ 2014-05-25 19:27:00

Je veux bien avoir plus de documentation à propos d’un coût nul de l’énergie. Je ne demande qu’à changer d’avis sur cette question :)

Mais effectivement de tout ce que je lis, c’est plutôt l’inverse que je vois.

Encore une fois ça ne se limite pas à l’énergie : un exemple illustrant ce phénomène est ce reportage sur la “disparition du sable” (sur ARTE http://www.arte.tv/guide/fr/046598-000/le-sable). Ce n’est évidemment qu’un parmi tant d’autres…

Après j’ai toujours l’impression qu’il y a une foi un peu exagérée dans le “Progrès” :)

Thierry Crouzet @ 2014-05-25 19:33:00

C’est pas une vision fanatique du progrès, mais juste simplement reconnaître que l’énergie est surabondante sur Terre, le soleil nous en envoie plus que nous n’en aurons jamais besoin. Donc la solution est nécessairement technologique, et les pistes sont aujourd’hui inombrables. C’est les producteurs des anciennes sources d’énergies qui ne veulent pas que nous changions de point de vue. Le solaire peut être converti de dizaines de façon... la piste organique est une des plus prométeuses et les piles au graphène arrivent. Donc le problème n’est pas de savoir si le coût de l’énergie sera un nul, mais quand.

Brian Jacob @ 2014-05-29 12:24:00

On ne va pas du tout être d’accord. Pour moi, tu es en train de recourir à la tentation étatique. Chacun sa définition de bien public. Pour qu’un bien soit public il faut qu’il soit à tout le monde, et pour être à tout le monde, il doit n’appartenir à personne. L’air que l’on respire est un bien public, mais un livre appartient en premier lieu à son auteur. L’auteur est propriétaire de son travail. Quand une université gagne en indépendance grâce aux brevets qu’elle dépose, j’applaudis des deux mains. Comme dirait Luchini, l’art pour l’art c’est du baratin, un comédien ne monte pas quatre heure par jour sur scène pour ne pas être payé à la fin. En Belgique, on a créé un décret inscription pour favoriser la mixité sociale, pour que les élèves de milieu défavorisé puisse s’inscrire dans des écoles de qualité. Eh bien, dans les faits, c’est un échec total. Les parents de milieu défavorisé continuent d’inscrire leurs enfants dans des écoles de seconde zone. Ce n’est pas l’égalité qui émancipera les peuples, c’est le nivellement par le haut. L’Etat providence du royaume de Belgique, au lieu d’améliorer l’enseignement dans les milieux défavorisés préfèrent les solutions inefficaces par souci d’égalité. Au lieu d’avoir des écoles qui se valent, on préfère encourager les parents à inscrire leurs enfants dans de bonnes écoles, alors que l’on sait très bien que les mentalités ne peuvent changer sans une once de pédagogie et d’ambition. À Liège, nous avons une bibliothèque de grande qualité, Les Chiroux, fréquentée essentiellement par les étudiants d’université et les personnes âgées, donc je ne pense pas que la littérature gratuite redonnera le goût à la lecture, je ne pense pas non plus que la société civile ait besoin de plus d’état, avoir un ministère de la culture est déjà une aberration en soi. Au lieu de changer le monde, arrêtons d’envisager l’argent comme un problème. L’argent circule, aidons-le à circuler, donnons du pouvoir d’achat aux potentiels clients, apprenons aux citoyens à pêcher au lieu de recourir à la facilité.

Thierry Crouzet @ 2014-05-29 12:30:00

Le revenu de base n’est pas nécessairement instauré par l’État. Il peut naître à partir d’une monnaie complémentaire, que les artistes accepteront par exemple.

Le monnaie n’est qu’une variable d’échange.

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