La discussion avec quelques intermittents m’a montré que nous autres défenseurs du revenu de base (RdB) avons encore un immense travail à effectuer pour expliquer nos idées qui, paradoxalement, se heurtent de plein fouet aux survivances du marxisme.

Première chose. Les marxistes font corps. Forment une meute prête à se jeter sur leurs adversaires. Les défenseurs du revenu de base ne viennent pas au secours des autres défenseurs. Je connais la fatigue de répéter sans cesse les mêmes choses, mais la fatigue équivaut à un renoncement. Voilà peut-être pourquoi la lutte littéraire sera plus douce, et au final plus pédagogique.

En attendant, il faut saisir toutes les occasions d’expliquer et de se confronter aux autres. Voilà ce que j’ai compris des propositions des intermittents. Elles se résument en une ligne de code :

IF NHT=0 Then SMICjour

Où NHT est le nombre d’heures travaillées dans une journée et SMICjour le salaire minimum, contractuellement nécessairement atteint si des heures sont travaillées durant une journée.

Cette proposition déconnecte le revenu de « l’intermittent au chômage » de celui de « l’intermittent au travail ». C’est une bonne chose, une mesure vers plus d’égalité, et qui devrait s’appliquer à tous les chômeurs, même si ce n’est pas sans poser de problèmes.

Si je gagne 10 000 €/mois, ai un crédit de 2 500 €/mois et me retrouve avec un SMIC, je suis très mal, à moins que des assurances se mettent soudain par magie à payer mon crédit. De même, cette approche oublie les frais fixes, bien supérieurs avec un train de vie plus élevé, et qui ne peuvent être immédiatement ramenés à zéro avec le chômage, d’où le mode d’indemnisation actuel qui évite les crashes des plus hauts revenus.

Cette proposition est aussi complexe. Il suffit de parcourir le document du CIP pour s’en convaincre. Et pourquoi est-elle complexe ? À cause du « IF » dans la ligne de code. Qui dit condition, dit instances de vérification, centralisation, comité de régulation et j’en passe. Le « IF » implique une usine à gaz.

Si les intermittents recevaient un RdB, les choses seraient très différentes et, à mon sens, bien plus simples. On aurait un code sans condition.

Revenu = RdB+revenu du travail

Une fois éligible au statut d’intermittent, on toucherait le RdB pour une période donnée, genre 5 ans, indéfiniment renouvelable. Cette méthode n’exclut pas les allocations chômage éventuelles, qui devraient alors être calculées comme pour les autres salariés.

L’absence dans la formule du NHT ouvrirait l’intermittence à tous ceux qui ne comptent pas leur travail en heures. Les écrivains et les peintres par exemple. Pour nous, les heures travaillées n’ont aucun sens (nous sommes des travailleurs cognitifs, amenés à être sans cesse plus nombreux).

L’éligibilité pose évidemment problème. Dans sa forme pure, le RdB est inconditionnel. Pas de « IF », et c’est à cette condition qu’il transformera la société. En effet, pourquoi offrir un RdB aux artistes et pas aux saisonniers ? Dire que les uns sont plus utiles que les autres est tout simplement inacceptable. Le RdB doit donc être universel (mon médecin doit le toucher, les professeurs de mes enfants aussi…). Il est impossible de définir un critère d’admission qui ne soit pas discriminatoire (ce qu’est aujourd’hui le régime des intermittents pour ceux qui n’en bénéficient pas).

Reste à savoir qui finance le RdB. Deux grandes solutions, pas nécessairement incompatibles.

  1. La répartition, donc organisée par l’État.
  2. La création monétaire, avec pourquoi pas la création d’une monnaie RdB (si tout le monde la reçoit, tout le monde peut échanger avec). Elle peut être créée par l’État ou être lancée comme Bitcoin, et offerte à tous ceux qui la rejoindront sans avantage aux premiers entrants (ce qui est le cas de Bitcoin).

La discussion avec les intermittents s’est aussi portée sur un autre modèle de rémunération, le salaire à vie, que j’ai immédiatement trouvé terrifiant.

Cette proposition ignore tout le travail théorique effectué sur la monnaie par les défenseurs du RdB. Résumé : on ne peut pas construire un système économique juste s’il ne s’appuie pas sur une monnaie libre. La théorie du salaire à vie n’évoque pas la monnaie (pour ce que j’en ai vu). En plus d’être carcérale, l’idée de réduire les salaires à quelques tranches n’est pas envisageable tant que des « privilégiés » créent la monnaie utilisée par les autres citoyens. Les créateurs sont mécaniquement infiniment plus riches qu’eux. Et puis, il faudra m’expliquer en quoi ce modèle n’est pas qu’une résurgence du communisme le plus extrême.

Le RdB veut donner la dignité à chacun. Il ne veut brider ni les envies ni les espoirs de personne.

Le RdB n’a pas nécessairement besoin de l’aval politique pour naître, juste l’assentiment d’un nombre assez grand de citoyens, qui décideraient du jour au lendemain de se verser un RdB dans une monnaie complémentaire. Et dès lors pourraient échanger dans cette monnaie. On ne limite rien du tout, on libère bien au contraire.

Je me moque que quelqu’un gagne mille fois plus que moi du moment que je suis libre de m’épanouir.