La lecture de Piketty me met de plus en plus mal à l’aise. Pas parce qu’il répète sans cesse la même chose et me donne l’impression que je suis stupide, mais parce qu’il parle d’un monde, celui du PIB, qui n’est pas le mien, et celui d’aucun d’entre nous.
Un passage vient de me faire bondir :
Pour certains économistes, comme Robert Gordon, le rythme de croissance de la production par habitant est appelé à se ralentir dans les pays les plus avancés, à commencer par les États-Unis, et pourrait être inférieur à 0,5 % par an à l’horizon 2050-2100. L’analyse de Gordon repose sur la comparaison des différentes vagues d’innovations qui se sont succédé depuis la machine à vapeur et l’électricité, et sur la constatation que les vagues plus récentes – en particulier les technologies de l’information – ont un potentiel de croissance sensiblement inférieur : elles bouleversent moins radicalement les modes de production et améliorent moins fortement la productivité d’ensemble de l’économie.
Piketty se contente de dire qu’il trouve Gordon trop pessimiste alors que c’est du grand n’importe quoi. Les technologies de l’information nous aident à développer les contributions volontaires qui ne sont pas prises en compte par le PIB et pourtant participent de toute évidence à la croissance culturelle de l’humanité, cette croissance en grande part immatérielle et de l’ordre des qualités plus que des quantités, qui sera à l’avenir la seule soutenable, et pourquoi pas avec des taux de croissance faramineux comme Kurzweil les annoncent.
Piketty écrit un livre pour nous aider à mieux gérer notre monde dans les années à venir et il ne se dégage pas de l’héritage intellectuel productiviste. Absence de vision. Un discours politiquement correct d’universitaire pour les universitaires. Un discours étranger à tous ceux, de fait, qui créent le monde de demain.
Il devient stupide de tout baser sur le PIB alors que l’essentiel du travail échappe à la rémunération. Tout cela à cause de la confusion entre travail et emploi. Piège dans lequel chutent irrémédiablement Piketty et tous nos politiques.
En publiant ce texte, je participe à la croissance. Nous sommes des millions engagés dans une croissance vertigineuse dont le PIB ne nous dit rien. Faut laisser tomber cette ânerie. Nous vivons un véritable big bang informationnel. Pourquoi le PIB serait-il plus important que la quantité de bits à notre disposition ?
Seul un indice composite a une chance de décrire l’état de croissance de nos sociétés. Il devrait intégrer la quantité d’information disponible, la durée de vie, la criminalité… et surtout pas le nombre d’ordinateurs ou de voitures produits. On se fiche des moyens. Sommes-nous heureux ou non, c’est la seule chose qui importe. Et les stupides méthodes de calcul actuels ont pour seule vertu de rendre la plupart des gens malheureux.
À choisir un indice caricatural, on devrait immédiatement remplacer le PIB par un indice qui mixerait nombre de bits produits, nombre de bits consommés et le nombre de bits disponibles sur une période. On aurait une idée de l’état d’une population à l’âge de la révolution cognitive. Si cet indice cognitif croît, on peut en conclure que les gens communiquent plus, reçoivent plus, échangent plus, expérimentent plus… et potentiellement sont donc plus heureux.
Je ne parle pas d’infobésité, mais de diversité. De flux innombrables d’informations qui irriguent chacun de nous différemment et font de nous des individus, un et irréductible. Dans ce bouillonnement global, il existe une place calme et sereine pour chacun de nous.