La France ressemblera-t-elle bientôt à l’Iran ?

Je viens de passer une semaine en Iran. Pas plus tôt chez moi, je vois qu’enfin les Français de réveillent : oui, notre gouvernement veut nous mettre sur écoute.

D’un autre côté, je me dis « C’est bien fait. Fallait pas jouer aux cons en obéissant par millions à l’appel lancé par nos politiciens le 11/1. » Dire que je me suis fâché avec pas mal de gens à cette occasion. Certains m’ont insulté, d’autre rayé de leurs contacts. Je ne sais pas trop ce qu’ils doivent penser en ce moment. Voici ce qu’un ami m’a écrit le 12/1.

Alors, désolé : je n’ai pu samedi supporter ta rafale de tweets, dont tu n’as sans doute pas mesuré l’impact blessant. Et je me suis désabonné de ton compte Twitter, non en un geste de colère ni d’insulte, mais sur le moment salutaire. Comme je te l’ai écrit, à force de rechercher – souvent à raison – à être à contre-courant, tu t’es mis cette fois-ci à contre-sens.

À contre sens du totalitarisme montant peut-être, c’est ça dont voulait parler celui que je croyais être devenu un ami ? À contre sens d’un gouvernement qu’il faut brosser dans le sens du poil pour continuer à être subventionné, reconnu, officialisé ? Je n’attends rien de ce gouvernement ni du suivant, c’est peut-être ce qui me permet d’être honnête avec moi-même.

OK, vous avez raison, notre gouvernement avait commencé ses délires avant le 11/1, mais il ne fallait pas leur donner une raison de plus d’enfoncer le clou. Pour tout vous avouer, je ne suis pas très inquiet. Il m’a suffi d’une semaine en Iran pour imaginer ce que deviendra la France si nous continuons à élire des gens qui ne comprennent définitivement rien au Net.

Parce qu’en Iran, vous savez, en plus d’être sur écoute, Internet est filtré. Ma surprise est grande de réussir à twitter dès mon arrivée à l’aéroport. Tout cela parce que mon Hootsuite était préchargé dans mon navigateur.

Dès le lendemain, je rencontre des Iraniens. Pour la plupart des toubibs ou des étudiants en médecine, donc pas supposés geeks. Tous me demandent de devenir leur ami sur Facebook, Twitter, Instagram, Viber… Ils se jouent des filtres, mais en prime démontrent une connaissance des outils sans commune mesure avec celle du Français typique.

Bénéfice évident du contrôle, il augmente la compétence des contrôlés.

Notre gouvernement devrait s’organiser un petit voyage initiatique en Iran pour mesurer combien la dictature numérique est vaine. Les boîtes noires ne réussiront à surveiller que les citoyens les plus inoffensifs, c’est-à-dire ceux qui ne constitueront jamais un danger pour leurs concitoyens, sauf si on finit par trop les empêcher de vivre.

En Iran, je vois mal comment la situation pourrait rester en l’état. Les voiles tombent, les foulards reculent sur les têtes, révélant de plus en plus les cheveux des femmes. On ne peut pas vivre sur le Net à longueur de journée, être fan de True Detective, Breaking Bad, Game of Thrones, et accepter longtemps une dictature machiste dans les rues.

Ça se fissure de toute part. La société iranienne se réorganise sur des bases nouvelles, d’autant moins contrôlées que le gouvernement en théorie les refuse, tout en étant conscient qu’il n’a pas d’autre possibilité que de les accepter, s’il souhaite un minimum de prospérité économique.

Vous voulez quoi en France ? Voiler Internet ? Cacher ses yeux ? Cacher sa peau ? Empêcher les hommes et les femmes de s’y mêler ? Vous voulez détruire l’écosystème ? Vous voulez nous ramener au moyen-âge ?

Le contrôle, c’est terminé. Vous devez l’accepter. Il y aura demain de nouveaux attentats, quelles que soient les précautions que vous prendrez. Parce que plus le monde est complexe, plus il est facile des provoquer des catastrophes, comme de crasher un avion sur une montagne.

Pour lutter contre le terrorisme, il faut accroître la liberté. Et pas la mièvre liberté de voter. Il faut donner à chacun les moyens d’user d’une totale liberté, c’est-à-dire la liberté de s’éduquer pour se choisir sa vie et être heureux.

On ne lutte pas contre les ennemis de la liberté en s’attaquant à la liberté, sinon on fait leur jeu. C’est tellement évident, tellement logique, qu’il faut chercher d’autres raisons que la bêtise à la réaction de notre gouvernement.

Des intérêts particuliers à protéger. Ceux des entreprises qui proposent les boîtes noires très puissantes en France comme le dénonce depuis des années Reflet.info ? Peut-être. Mais aussi, et de façon plus subtile, les intérêts de tous ceux qui bénéficient de la centralisation.

Les grands médias qui sont subventionnés plutôt que les journalistes eux-mêmes, ce qui aurait le don de stimuler l’investigation comme la créativité.

Les banquiers sans cesse abreuvés pour fabriquer l’argent tout en accroissant mécaniquement l’écart entre riches et pauvres.

L’État et son armée de fonctionnaires dotés du pouvoir de vie et de mort sur bien des projets, surtout ceux qui ont le don de remettre en question les privilèges (regardez ceux qui ouvrent leur gueule, vous verrez qu’ils ne mangent pas au râtelier des subventions).

Contrôler, c’est un réflexe pour qui n’existe que parce qu’il a atteint une position de contrôleur. Un politicien, quel que soit son bord, n’aspire qu’au contrôle. Nous sommes mal barrés. Parce que pour lutter contre le terroriste, il faut aimer la liberté, faire confiance, responsabiliser. Autant de qualités elles-mêmes incompatibles avec l’idée d’élection. « Parce que si tu ne me suis pas, tu ne votes pas pour moi. »

C’est simple. Le système électoral implique le contrôle des électeurs. Il ne faut donc pas s’étonner que la volonté de contrôle soit endémique à nos sociétés. L’élu ne nous veut pas libres, car libres nous pouvons élire ses adversaires.

Internet vient ficher le bazar dans un vieux système. Le pire, c’est qu’au fond ça ne change pas grand-chose. Parce qu’une nouvelle caste d’apparatchiks émerge, celle des Google, Facebook, Twitter, Apple, mais sans lien avec l’ancienne, c’est ça qui angoisse les old schools de la politique. Ils essaient de se défendre bêtement.

Et nous dans ce merdier ? Il est urgent que nous devenions vite moins cons. Parce que dans tous les cas, que ce soit les uns ou les autres qui l’emportent, ils nous pressuriseront pour faire de nous leur machine de guerre.

Iran under reconstruction in Mashhad.
Iran under reconstruction in Mashhad.