L’éditeur qui ne fait pas confiance aux lecteurs

Si les restaurateurs ne faisaient pas confiance à leurs clients, il n’y aurait plus que des MacDo où tu payes avant de manger, même si c’est de la merde.

Si les artistes de rue ne s’attendaient plus à récolter un peu d’argent après leurs prestations, ils cesseraient de se produire.

Si les libraires avaient peur de se faire piquer leurs livres, ils ne laisseraient plus entrer leurs clients dans leur boutique (ça existe, ça s’appelle Amazon qui a supprimé la boutique).

Depuis toujours, il existe un contrat de confiance entre le vendeur ou le producteur et le consommateur. Casser ce contrat, c’est dépersonnaliser le commerce, c’est l’industrialiser, le mécaniser, le réduire à ce qu’il a purement utilitaire, le MacDonaliser. C’est acceptable pour certains biens, quoique même pour une brosse à dents j’aime discuter avec mon pharmacien, mais inacceptable pour toutes ces choses qui nous touchent en profondeur, un bon repas, un bon livre.

Alors quand je demande à un éditeur un livre pour le chroniquer, donc promouvoir son auteur, et qu’il refuse sous prétexte que je pourrais le pirater, le contrat de confiance est rompu. De même quand cet éditeur refuse de diffuser en numérique sous prétexte que ses lecteurs, donc ses clients, pourraient le pirater. Il les accuse tout simplement d’être malhonnêtes. Les millions de lecteurs numériques ne seraient donc que des crapules.

Voilà ce que répond publiquement sur Facebook cet éditeur, Pierre Fourniaud, patron de La manufacture de livres :

L’éditeur c’est moi. Oui je n’aime pas faire circuler les textes de mes auteurs par mails, forwardables ad volo et ad nauseam. Piratez si vous voulez : rien n’a de prix, rien n’a de coût , tout est gratuit et arriba La Muerte ! Mais au moins pour pirater il aura fallu passer une heure, une petite heure. Alors piratez ! Il n’en restera rien mais au moins une heure consacrée à un livre, consacrée à le détruire. Une heure c’est pas grand chose mais c’est mieux qu’un clic.

Quand je demande à Pierre un livre pour le chroniquer, je me place sur le plan de la confiance. Je n’entends pas m’échapper à la course avec son fichier comme un vulgaire voleur à l’étalage, tout ça pour m’empresser de le distribuer sur les torrents (d’autres s’en chargeront s’ils jugent le texte utile).

Notez que la plupart des journalistes qui reçoivent des services de presse papier ne se gênent pas de les revendre. On retrouve leurs exemplaires en solde le jour même de la sortie du livre sur Amazon. Cet exemple démontre qu’on peut se comporter comme un sagouin même avec du papier.

Les SP du roman d'Olivier Martinelli que je voulais chroniquer sont déjà en solde.
Les SP du roman d'Olivier Martinelli que je voulais chroniquer sont déjà en solde.

Quant à la fameuse heure nécessaire au piratage d’un livre papier, il m’aurait fallu plus de temps pour chroniquer le livre. Voilà un éditeur qui préfère que je consacre une heure à pirater un de ses livres plutôt que plus de temps à en faire l’éloge. Ses auteurs doivent être ravis. Pierre, à l’avenir, évite de citer ma chronique de Terminus mon Ange, parce que j’y ai passé du temps et parce que tu ne m’as rien payé en échange, pas même offert un de tes ouvrages si précieux. Tu as un sens de la justice pour le moins équivoque. Je ne suis pas étonné quand tu écris encore sur Facebook :

Comment on pirate du papier ? Il faut y passer au moins une heure non ? Alors ça me va (c’est moi le connard qui essaie de gagner sa vie en éditant )

Pierre, tu veux gagner ta vie, mais en agissant ainsi je ne suis pas sûr que tu fasses beaucoup gagner leur vie à tes auteurs (OK, c’est un coup bas). On ne peut honnêtement gagner sa vie qu’en respectant le contrat avec ces clients. Cela n’a rien à voir avec le numérique.

Et puis demain, quand ledit numérique finira par exploser en France, tu feras quoi ? Tu continueras à rester un intégriste du papier ? D’ailleurs n’es-tu pas en train de négocier la distribution de tes livres en numérique en ce moment ? J’ai cru entendre… tu finiras par suivre le mouvement.

En attendant, tout ce que tu fais, c’est rompre le contrat entre tes auteurs et leurs lecteurs qui ont envie d’être de leur temps. Tes méthodes ne combattent en rien le piratage. Ta résistance n’empêchera en rien le numérique de se développer, notamment pour une raison : il autorise un nouveau contrat de confiance, d’une force inégalée à ce jour.

Dorénavant, je peux distribuer mes livres en Creative Commons et demander aux lecteurs de ne payer que s’ils sont satisfaits. Je leur fais confiance. Ma naïveté doit te faire flipper. Mais tu devrais t’intéresser aux chiffres : Le Geste qui sauve ainsi diffusé a été vendu à plus de 30 000 exemplaires et traduit en douze langues. À mon avis, la confiance finit toujours par payer. De toute façon, je ne sais pas faire autrement.

Copier un livre, le faire circuler, ce n’est pas le détruire mais lui donner vie.

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