À force de péter plus haut que leur cul, les littéraires se ridiculisent

Suite à une de mes trop nombreuses remarques désobligeantes sur laquelle je n’ai pas envie de revenir, un auteur et critique que je respecte m’a répondu sur Twitter : « Qui imagine encore que le langage est traversé par des forces qui l'excèdent, code ou mots ? »

Je suis effondré quand on me répond une chose pareille, parce qu’il me semble qu’elle implique de reprendre tout le travail des philosophes depuis Nietzsche et surtout Wittgenstein. Et même remonter jusqu’à la théorie de l’évolution.

Mise au point : que quelque chose excède toutes autres choses, appelons ça dieu, c’est une position essentialiste sur le monde. Elle est respectable même si je ne l’a partage pas, mais il me paraît osé d’invoquer des puissances supérieures à tout bout de champ, surtout en littérature.

Le langage est un produit de l’évolution, en transformation perpétuelle, totalement déterminé par un million de contraintes. Il n’excède rien du tout. J’ai écrit La mécanique du texte pour cette raison, pour montrer que la technique est presque aussi importante que le langage dans l’histoire de la littérature, et surtout qu’elle le détermine en partie.

Si Mallarmé avait supposé que le langage excédait toute chose, il n’aurait pas cherché à mettre en page Jamais un coup de dés n'abolira le hasard. De même, Baudelaire n’aurait pas exigé de remplacer la police de caractères des Fleurs du mal. Des forces obscures traversent bel et bien le langage, elles ne l’excèdent peut-être pas, mais il ne les excède pas davantage. Nous sommes face à un faisceau d’interdépendances comme nous l’explique la théorie de la complexité, un réseau non hiérarchisé.

Voilà pourquoi selon moi on ne peut étudier un texte seul, dans sa pureté XML primordiale. La vie de l’auteur, les conditions de production, l’air du temps, la situation politique… des milliers de paramètres interagissent. J’ai essayé d’éclairer un de ces aspects dans La mécanique du texte, en me plaçant en quelque sorte à la suite de Sainte-Beuve, qui au regard de nos connaissances biologiques et neurologiques m’apparaît comme bien plus moderne que Proust.

Quand j’ai commencé à m’intéresser à la littérature, j’ai inévitablement versé du côté de Proust dans ce débat, c’était bon genre, puis sa philosophie peu à peu m’a écoeuré. Avec cette idée que le texte seul est toute l’œuvre, Proust crée immédiatement une hiérarchie, il pyramidalise le monde… dans un esprit très élitiste et politiquement détestable. Parce que si le texte est intouchable, pourquoi pas certaines idées, certains individus…

Ainsi, un critique de la littérature numérique, surtout s’intéressant à un auteur profondément engagé dans ce champ, ne peut pas l’étudier comme s’il publiait sur papier, arrachant chaque mot à leur support et les regardant droit dans les yeux. Il doit prendre en compte la technologie, ses possibilités, ses contraintes, en même temps que les limitations techniques de l’auteur lui-même. Prendre le texte seul, éventuellement quelques images, c’est se comporter en essentialiste, c’est rester détestablement accroché au pire côté de Proust en ignorant Wittgenstein, ce qui m’apparaît bien peu contemporain.

Maintenant, lâchez-vous, prétendez que c’est moi qui pète plus haut que mon cul. Mais réfléchissez à qui vous paye, qui vous donne votre autorité littéraire et essayez d’analyser en quoi tout cela vous fait inévitablement pencher vers Proust.

Les fleurs du mal.
Les fleurs du mal.