Grâce à Philippe Castelneau, je lis un superbe interview de Sylvie Martigny et Jean-Hubert Gailliot, les créateurs de la maison d’édition Tristram. Je me sens tout de suite bien avec eux. Je me dis que j’aimerais travailler avec eux. Ils ont une idée réaliste et en même temps exigeante de la littérature. Ça me plaît.
Alors je veux les féliciter, leur dire merci… Il m’arrive d’être bienveillant, de me laisser aller à un peu d’enthousiasme. Je cherche leur site, je ne le trouve pas, sinon un vague catalogue hébergé je ne sais où. J’ai soudain comme un doute. De quelle littérature parlent-ils ?
Cette littérature qui sort des sentiers battus, qui ne recherche pas le best-seller, qui avant tout avance vers l’inconnu… ne sont-ils pas en train de la promouvoir au cœur du marché qui les désespère ?
Aucun mot pour le déplacement des frontières qui se joue sur le Web, loin des formats anciens, et nous oblige souvent à nous éloigner du papier, à le penser au mieux comme une projection appauvrie de certaines de nos explorations. Figer la littérature dans un espace formel et marchant, c’est refuser sa radicale et nécessaire étrangeté.
Je ne comprends pas comment des éditeurs littéraires peuvent encore accepter de recevoir des manuscrits (et même en parler). Aujourd’hui, la littérature se pêche. On va à sa recherche, on n’attend pas qu’elle arrive dans une boîte aux lettres. Cela vaut aussi pour les auteurs tentés par la Poste plutôt que par le Web, et qui préfèrent un refus de quelques éditeurs plutôt que de se risquer à se frotter immédiatement à quelques lecteurs.
L’auteur qui envoie un manuscrit ne se range pas dans la littérature. Il se place sur le marché. Il envoie un produit et il mérite bien un refus sous forme d’une lettre type. Le marché n’a pas d’état d’âme. C’est tout le contraire de la littérature. Son âme ne s’arrête pas au livre, elle l’a débordé depuis longtemps. Parler de littérature, c’est s’intéresser à un espace en expansion.