Vendredi 2, Balaruc

Goofy me suggère de verser dans l’autodérision. J’ai usé de cette veine dans J’ai débranché. Une astuce : introduire un regard extérieur qui contredit mon « je », en fait un truc tout petiot. Par exemple : « Ce n’est pas sa faute s’il est anormal », dit Isa devant ma mère qui s’inquiète tout de suite, surtout quand elle voit nos enfants péter les plombs aussi souvent que je le faisais à leur âge. Je ne pratique l’humour qu’involontairement.

Samedi 3, Balaruc

Sur Internet, il est aisé d’être lu, à condition de se plier à quelques règles populistes. Choisir de ne pas être lu est bien plus difficile. Pas simple quand on a la grosse tête.

Dimanche 4, Balaruc

Je cours un 13,5 km à 11 km/h de moyenne. Le corps s’habitue à tout (et à n’importe quoi).

Lundi 5, Balaruc

L’absurde me suffoque parfois. Le reste du temps, je me persuade que nous écrivons une histoire, ça donne un sens dramatique à nos vies.

Mardi 6, Balaruc

J’ai très vite renoncé à mon métier d’ingénieur. J’aurais dû poursuivre. Nous manquons d’ingénieurs et nous avons trop d’écrivains.

Mercredi 7, Balaruc

Pourquoi apprenons-nous aux enfants à travailler (à l’école) ? Nous faisons comme si le monde allait se perpétuer tel quel, alors que la décadence nous guette, et qu’elle exigera de nouvelles compétences (plus anciennes).

Jeudi 8, Balaruc

Un cauchemar. Je trouve mon père inconscient, en sang. Je le touche, il est encore chaud, de la chaleur humide du mourant.

Vendredi 9, Paris

Je suis incapable d’écrire autre chose que mes minutes. Aucune sensation ne se pose avec assez de force pour exiger les mots.

En TGV, levé de soleil sur le Rhone.
En TGV, levé de soleil sur le Rhone.

Cet après-midi, je dois parler devant des étudiants en journalisme. Des prétendus digital natives, des jeunes bacheliers. À leur âge, je savais coder. J’étais déjà plus dans mon temps que la plupart d’entre eux. OK, je suis un vieux con (mais je me donne vingt ans de moins).


Levée de boucliers quand je dis aux élèves journalistes qu’ils doivent apprendre à programmer. Sorte de refus instinctif de mettre les mains dans le cambouis, refus qui s’avérera dramatique si le monde finit par s’écrouler. Le XXIe siècle sera technique ou ne sera pas.

Samedi 10, Balaruc

Après-midi à marteau-piquer une dalle en béton. Pas trop envie d’écrire après. L’écriture n’est qu’un truc d’oisif (ce qui la fait tomber très bas dans l’ordre des priorités humaines).

Lundi 12, Balaruc

Sur Twitter, je me désabonne des gens qui ne me suivent pas. Je resserre ma communauté pour réduire le bruit ambiant. L’information ne m’intéresse pas. Je recherche des conversations.

Mardi 13, Balaruc

La journée commence en douceur.
La journée commence en douceur.

La digital detox est une intox.


Quand je vais au village, je passe en vélo sur un pont de bois réservé aux piétons, la piste cyclable faisant un léger détour. Une ou deux fois par an, quelqu’un me fait une remarque. Genre flic en civil. Aujourd’hui, c’est une femme avec un chien en laisse. Je suis sûr qu’elle me juge irrespectueux. C’est à cause de gens comme moi que le monde va à vau-l’eau. Je me sens un peu coupable. Mais la femme se sent-elle coupable d’avoir fait chier son chien sur la plage ?

Mercredi 14, Balaruc

Paysage matinal en strates.
Paysage matinal en strates.

Je passe devant un atelier avec des palettes colorées entreposées sous des arbres qui perdent leurs feuilles. J’ai pensé automne. Je me suis même un instant senti dans les environs de Seattle. La couleur rouge du mur renforçait celle du soleil et m’a projeté aux pieds de la chaîne des Cascades. L’endroit m’est revenu avec la force décrite par le Proust que j’aime, celui des impressions. Si j’avais le courage, je reproduirais les notes et les dessins de cette journée de mon passé. J’ai le projet sans cesse repoussé de me lancer dans le retroblogging.

Les couleurs de l'été Indien.
Les couleurs de l'été Indien.

Depuis quelques jours, mon blog est sous attaque. Quelqu’un cherche à s’y connecter. C’est comme être chez soi et entendre un voleur essayer de forcer la porte. Tout cela m’encourage à désintégrer mon chez-moi numérique au profit de plus de mobilité.

Jeudi 15, Balaruc

Me réveille avec une angoisse du backup. Ça me prend de temps en temps.


Je passe un bon moment à lire des news sur KIC 8462852, une étoile autour de laquelle pourrait orbiter une mégastructure artificielle. Je préfère ça à lire des articles sur la collapsologie. Le déclinisme est devenu une mode payante. Si tu défends ce point de vue, tu vends des livres et on t’invite partout, surtout à la COP21 où tu auras droit à des canapés bios. J’ai envie de me ranger dans le camp adverse des technos optimistes, non par esprit de contradiction, mais parce que je ne vois pas d’autre espoir pour une humanité de bientôt 9 milliards d’individus. C’est ma version du pari de Pascal. Je refuse d’imaginer des plans B qui impliquent tous des milliards de victimes.

Vendredi 16, Balaruc

Levé du jour. Ciel bleu, pur, délavé par le mistral. Une pureté trop parfaite pour une apothéose de couleurs. Il en va des journées du ciel comme les miennes.


La limpidité du matin amène un beau cagnard d’automne dans l’après-midi, avec une tranquillité de mouvement entre l’étang et la terre. J’aime ces moments d’éternité. À vrai dire, je ne connais rien de plus beau, et j’écris toujours à la recherche de cette lumière lointaine. Il faudrait que je m’en souvienne plus souvent.

Samedi 17, Balaruc

Je devrais creuser l’idée : Internet comme territoire (de la nécessité d'enseigner l'histoire et la géographie du Net à l'école). C’est le sujet possible d’un manuel à distribuer à tous les collégiens (pas mal de fric à la clé). Voir Internet comme un territoire (plutôt que comme un service) change la perspective politique et philosophique sur cet objet…


« In my view, this is an awesome thing. » Un commentateur au sujet de la possibilité que nous avons désormais de détecter des civilisations extraterrestres.

Dimanche 18, Balaruc

« Adverbs are cholesterol in the veins of prose. Halve your adverbs and your prose pumps twice as well.” Pens scratch. “Oh, and beware of the verb ‘seem’; it’s a textual mumble. And grade every simile and metaphor from one star to five, and remove any threes or below. It hurts when you operate, but afterwards you feel much better. » Conseil d’écriture plus que judicieux découvert en lisant The Bone Clocks de David Mitchell. Chaque fois que j’utilise « semble », c’est pour ne pas dire ce qu’un personnage ressent ou voit. C’est le verbe de la paresse.

Lundi 19, Balaruc

Hier soir, nous amenons les enfants voir Everest au cinéma. Non parce que je suis fan d’Into thin Air de Krakauer, mais parce qu’une famille de nos amis y a amené ses enfants et qu’ils ont apprécié. Connaissant la fin tragique de l’histoire, je suis un peu réticent. Découvrir la salle avec beaucoup d’enfants, parfois plus jeunes que les miens, me rassure. Sauf qu’Émile tient dix minutes, Tim à peine une heure. Les autres jeunes spectateurs sont-ils insensibilisés à la souffrance et à la violence à force de trop de télévision ? Une insensibilisation qui ne préfigure rien de bon. Une sorte de préparation à la guerre.

Jeudi 22, Montagnac

Mon engouement « littéraire » pour la tablette s’est éteint. Je ne vois pas l’intérêt d’écrire avec elle plutôt qu’avec un ordi, à peine plus lourd qu’elle et disposant d’un meilleur clavier. C’est d’autant plus vrai quand j’écris dehors.


Moins je fréquente les réseaux sociaux, plus j’en reviens aux flux RSS. Je privilégie de plus en plus les technologies asynchrones par opposition au temps réel.

Vendredi 23, Montagnac

Depuis que je publie mes minutes sur Wattpad, on m’a fait plusieurs fois remarquer que les jeunes avaient besoin de textes plus simples que les miens et que je devrais faire des efforts pour me mettre à leur portée. C’est le monde à l’envers. Le jeune serait la mesure de tout. Et le monde devrait se tordre pour lui comme si le jeune allait rester jeune toute sa vie. On dirait que le jeune se complet dans son état alors qu’il vit la phase le plus transitoire de l’existence (j’ai tout fait pour la quitter au plus vite, en commençant par lire des livres écrits pour les grands).


Quand j’arrive dans le Lot-et-Garonne chez mes beaux parents, je pose mes soucis, mes désirs, mes rêves et je dors. Avant d’arriver, je n’ai pas conscience de ma fatigue. Le lieu révèle ma faiblesse plus qu’il ne la crée, parce que tout autre lieu hors de Paris et de chez moi provoque les mêmes symptômes. Si je ne voyageais pas, je ne me reposerais jamais. J’en déduis que je ne voyage pas assez.

Dimanche 25, Montagnac

J’écris les derniers chapitre de 1 minutes. Je n’aime pas fermer les portes ouvertes au début d’une histoire. Pourquoi proposer une explication ? Une histoire ne doit pas se replier sur elle-même, mais exiger une suite éternelle. On devrait se contenter de décrire des mondes.


Je lis un thriller populaire, forgé sur le même moule à gâteaux que les autres thrillers populaires, avec la volonté minutieuse de ne pas s’écarter du courant principal, sauf pour raconter des banalités sur la vie des personnages. Alors je saute de plus en plus de passages, parce que le texte n’est que de l’emballage lourdingue pour une narration pas nécessairement mauvaise.

Mardi 27, Montagnac

Quand j’écris un roman, je m’impose une camisole mentale. Je n’ai d’énergie pour rien d’autre. Je ne connais pas de meilleure façon de brider ma créativité qu’en lui donnant ainsi une direction unique.


Comme trop d’auteurs écrivent des romans populaires, je ne dois pas craindre le difficile, le tordu, le dérangeant. En résumé, je dois m’amuser, ne pas être professionnel.


Ne pas critiquer, faire autrement. Voir ce qui ne va pas dans les œuvres des autres n’a d’intérêt que si on est capable de ne pas tomber dans les mêmes pièges.


Je ne m’intéresse qu’aux déraillements. Respecter les règles ne m’amuse pas.


Sara vient de m’apprendre la mort de Yal. Je pensais à lui tous les jours depuis que je le savais atteint d’un cancer. Avec Isa, on est parti se promener dans les bois pour parler de lui. Impossible de faire autre chose.

Mercredi 28, Montagnac

Quand je suis triste, je ne pleure pas. Très vite, j’ai mal au ventre. L’émotion court-circuite ma conscience. La nouvelle de la mort de Yal est passée directement dans mes entrailles.

Jeudi 29, Balaruc

Un ciel trop beau, en souvenir de Yal.
Un ciel trop beau, en souvenir de Yal.

Samedi 31, Balaruc

« La lecture nous donne des amis inconnus, et quel ami qu’un lecteur ! nous avons des amis connus qui ne lisent rien de nous ! l’auteur espère avoir payé sa dette en dédiant cette œuvre diis ignotis. » Balzac, dans l’avis au lecteur de L’Élixir de longue vie, un petit chef-d’œuvre gothique.