Mardi 1er, Paris

Hier soir, j’ai participé à une table ronde en compagnie de personnalités bien mieux installées que moi dans l’intelligentsia parisienne. La question posée : quels sont les invariants français. Et tous de donner leur réponse, et me voilà le seul à contester l’idée d’invariant, ce carcan idéologique hérité de Platon. Je ne veux pas d’invariant, je veux que mes enfants vivent dans un monde neuf. « Si tu devais tout de même trouver un invariant ? » Alors je parle de centralisation, en aucune manière un invariant, mais une pente dans laquelle nous tombons de plus en plus vite comme attirés par un trou noir. Les autres affirment leur désaccord. L’un de célébrer la prochaine figure politique qui se dressera pour reprendre la France en main, l’autre le retour de Dieu… Ils ne comprennent pas que je suis d’accord avec leur prévision, c’est ça le pire. Leur vision de l’avenir correspond à un monde plus centralisé. Ils jugent ça positif, au regard des vieux critères conservateurs, j’estime ça catastrophique, parce que la centralisation est impuissante à régler les problèmes complexes qui épuisent notre monde.


Je passe devant le Bataclan, je remonte l’avenue de la République, c’est mon quartier depuis toujours. Ça sent le cimetière, avec toutes ces bougies, ces mots plastifiés, ces fleurs séchées, c’est très païen, en même temps très religieux. Je ne suis pas à l’aise devant ces icônes. Je vois déjà des drapeaux se dresser au-devant des armées.

Mercredi 2, TGV

Tout en filant vers le Midi, je discute par mail, par SMS, par réseaux sociaux. C’est agréable cette sensation d’être connecté avec les autres tout en traversant l’espace.


Me sens très con. Mon TGV passe en gare de Sète sans s’arrêter. Prochain arrêt Béziers. Je ne suis pas rendu à la maison.

Jeudi 3, Balaruc

Jean-Baptiste Rudelle affirme que le secret du succès californien, c’est la coopération, l’horizontalité. Pas mal pour un coin du monde où opèrent les forces les plus centralisatrices jamais créées par l’humanité : Apple, Google, Twitter… Microsoft et Amazon ne sont pas loin à Seattle. « Collaborez pendant que nous centralisons les revenus. »


Trail dans la garrigue avec un ami. Ça grimpe, ça descend, c’est éprouvant et sublime. Juste avant de rejoindre la voiture, je trébuche, tombe droit sur mon Apple Watch qui explose… et aussi un peu mon épaule gauche, mes genoux. Ça fait cher payé pour une matinée sportive (et démontre l’inadéquation du produit avec le sport, c’est juste un gadget pour citadin frimeur).

Crash test.
Crash test.

Vendredi 4, Balaruc

Sur France Internet, un chroniqueur veut nous encourager à voter à l’aide d’un raisonnement à la prémice foireuse : « Si vous n’allez pas voter pour le parti que vous préférez, vous faites le jeu des partis adverses. » Ce chroniqueur ne semble pas être conscient qu’il est possible de n’avoir que des adversaires politiques. Je ne vote pas parce qu’aucun parti ne porte mes idées (et parce qu’aucun parti ne peut les porter, parce que mes idées sont les miennes et non celles des autres).


Je me gare à l’entrée de l’impasse qui mène chez ma mère pour décharger la voiture. Quelqu’un arrive. Je lui dis de patienter, je vais voir s’il reste de la place plus loin sur le parking en cul-de-sac, ce n’est pas le cas. J’explique au conducteur qu’il doit faire demi-tour. Il me dit qu’il veut passer à tout prix. « Mais, il n’y a pas de place. La seule possible, c’est devant notre portail et je vais y aller dès que j’aurais déchargé. » Le type me dit alors que lui aussi est propriétaire, que sans doute il paye plus d’impôts que moi. Dois-je en déduire que plus on paye d’impôts plus on a de droit sur l’espace public ? Les gens deviennent fous. Ils disent n’importe quoi. Ils écrabouillent la fraternité. Voilà d’où viennent les votes extrémistes. Je pète les plombs, je manque mettre mon poing sur la gueule du type. Ce n’est gagné ni d’un côté ni de l’autre.

Samedi 5, Balaruc

Dès que je ne travaille plus sur un texte long, des idées de billets de blog me viennent sans cesse. Je ne peux pas rester sans écrire. J’ai besoin de pratiquer tous les jours. L’art n’est qu’un sport.


Le gouvernement français s’apprête à payer les délateurs ? Encore un pas vers la dictature. Effrayant de voir l’engrenage que plus rien ne peut arrêter.

Lundi 7, Sète

Je croise François Bon. On s’embrasse. Ça fait du bien de se serrer de temps en temps, de rematérialiser nos relations virtuelles. J’ai besoin de l’intime pour échanger ce qui ne s’écrit pas.

François Bon avec au premier plan son ami Youssef .
François Bon avec au premier plan son ami Youssef .

Mardi 8, Balaruc

Je retourne courir avec ma nouvelle montre, une Garmin Forerunner 235, vraiment géniale par rapport une Apple Watch. Petite course de huit bornes à 11 de moyenne. Je me mange à nouveau une racine et me fêle une côte. J’en ai pour trois semaines à grincer des dents. Mon corps m’impose le repos, à force de trop de bricolage. Je ne suis qu’un intello.


Rue89 : « Trebor Scholz a une idée pour contrer les géants de l’économie du partage : développer des plateformes gérées comme des coopératives. » Voilà qui me rend fou. En 2007, avec Carlo Revelli, on lançait un projet de partage d’info sur ce principe. On n’était ni les premiers ni les derniers. OK, on s’est planté. Trebor Scholz ne propose rien de neuf. Je suis d’accord avec lui, on devrait bien s’entendre. Mais arrêtez de faire de lui un génial précurseur. C’est juste un mec lucide. Qu’il soit prof aux US, ça vous donne l’obligation de parler de lui ? Pourquoi avez-vous attendu aussi longtemps pour vous intéresser à ce champ de réflexion ? Merde, lisez le Web, lisez les gens qui pensent le Web, le font, arrêtez de suivre les modes. La réflexion sur toutes ces questions est déjà loin en amont. Vous retardez de dix ans.

Mercredi 9, Balaruc

Hier soir, j’ai fait une séance de cryothérapie : en slip, soixante secondes à moins soixante, deux trente à moins cent dix. J’entre dans la chambre froide avec deux femmes. On nous envoie de la musique. Je chantonne pour me donner du courage. Je n’ai qu’une envie fuir. Le temps s’allonge démesurément. Impossible de ne pas penser que si la porte se bloque nous sommes congelés en cinq minutes. Quand je sors, ma surface corporelle est tombée à vingt degrés. Je me sens plutôt bien. La nuit, je dors comme un bébé malgré ma côte endolorie.


Je ne vote pas parce que les candidats me désespèrent autant qu'ils sont. Le fait même de se présenter est d'une prétention dangereuse. Il existe toujours des gens pour vouloir en imposer aux autres. Je ne les crois pas une seconde quand ils prétendent vouloir nous servir. Quelqu’un qui veut se donner aux autres ne se bat pas avec acharnement pour atteindre une position. Il donne tout de suite.

Vendredi 11, Balaruc

Demain, un film sur les solutions pour changer le monde, avec l’idée sous-jacente de partage, de coopération… Le film lui-même financé en partie coopérativement n’est pas diffusé gratuitement, pas distribué librement sur le Net. Vous avez dit cohérence ! Encore une entourloupe. Parler de demain depuis le vieux monde. Refuser de s’installer tout de suite dans l’avenir. Je ne peux m’empêcher de voir ce qui déraille surtout quand ça touche là où doit s’installer le changement.

Samedi 12, Balaruc

Une fulgurance dans la nuit. Je m’imagine en un penseur du futur ironique quant à notre naïveté présente. « Ils étaient manipulés, ils ont accepté n’importe quoi, ils se sont laissés pourrir la vie, ils ont vécu dans un monde fallacieux. » Pour moi qui aime tant me tendre vers le réel, c’était un coup dur.


J’en suis à la phase post-partum de One Minute. J’ai reçu avec ce texte plus d’encouragements que pour aucun autre, je n’en reste pas moins les bras ballants, dans l’attente de savoir quelle tournure finale (et commerciale je dois lui donner), aussi dans l’attente de me lancer dans autre chose. Je ne suis heureux que quand un projet m’emporte. Alors j’imagine les minutes d’après. Le blackout. Notre monde sans technologie numérique pendant quelques semaines. Que se passerait-il ?


Le silence de ma boîte mail est parfois effrayant.

Mercredi 16, Balaruc

Je confirme l’incompatibilité chez moi des travaux manuels et de l’activité intellectuelle. Je suis en cette fin d’année un zombie cérébral aux mains entaillées.


Je termine la diffusion de One Minute en roue libre. J’étais heureux de publier quotidiennement tant que j’écrivais quotidiennement, même si j’ai rarement publié la minute écrite le jour même. Le texte s’éloigne de moi à grande vitesse, je m’en détache peu à peu et le pousser en ligne a de moins en moins d’intérêt. Le Send découplé de l’acte créateur perd de son pouvoir stupéfiant.


Pour moi le coût, c'est le temps passé à faire quelque chose. Si je fais un truc plus lentement sur Linux que sur Mac OS ou Windows (sans en éprouver davantage de plaisir ou de satisfaction), ça me coûte plus cher, je me sens moins libre. Je ne suis pas un intégriste du logiciel libre mais du coût minimum. Le libre ne libère pas nécessairement.

Dimanche 20, Tignes

Ski, soleil, épuisement, lessivage mental, incapacité à aligner deux idées, encore moins des mots. Je continue de lire les souvenirs d’un Européen de Zweig, me contentant de surligner des passages. C’est un texte de moins en moins bon à force de trop de prises de distance. Il paraît écrit par une machine.

Lundi 21, Tignes

Un éditeur de SF me dit que One Minute est trop littéraire après qu’un éditeur littéraire m’ait dit qu’il ne pouvait publier de la SF (deux façons opposées de botter en touche avec hypocrisie, mais aussi le portrait de l’édition souvent prisonnière des rayonnages qui heureusement n’existent pas sur le Net puisqu’on peut y publier sans censure). En vérité, un auteur à succès publie ce qu’il veut et se moque des rayonnages. Ce n’est qu’une question de rentabilité et jamais de littérature.

Mardi 22, Tignes

Zweig évoque Freud et le prétend irréfutable. Un autre Viennois, jamais mentionné par Zweig, Popper, a montré que Freud n’était pas scientifique parce qu’il était justement irréfutable. Étrange silence au sujet de Popper, de Wittgenstein, de Musil… comme si Zweig avait ignoré les géants de son temps nés à quelques pas de lui. Une volonté ? Ou est-il tout simplement passé à côté d’eux ? Je pense tout de suite à mes propres ignorances.

En pleine lumière.
En pleine lumière.

Vendredi 25, Tignes

Pour la première fois, je dois écrire un livre de commande et je ne réussis pas à m’y mettre. J’ai toujours fonctionné poussé par un moteur interne.


Les blogs seraient devenus matures d’après Le Parisien comme si nous écrivions n’importe quoi il y a dix ans, ou même il y a vingt ans. Aucune envie de réagir. Nous avons dépassé l’âge des blogs, j’ai même viré « blog » de mon URL, nous publions en ligne, chacun selon notre stratégie éditoriale. Nous avons dépassé le systématique antichronologique pour déployer des stratégies éditoriales dépendant des thématiques.

Mardi 29, Monts-sur-Guesnes

Par mail, un juriste me propose de m’aider à protéger mes œuvres. Très amusant de recevoir un tel mail tombé au mauvais endroit. Faisons l’économie des juristes et les auteurs seront mieux payés.

Juste pour la couleur.
Juste pour la couleur.

Mercredi 30, Châtellerault

J’amène les enfants voir Star Wars. Ils sortent en criant au scandale. « C’est un remake de l’épisode 4. » Encore un mauvais signal envoyé à grande force de marketing. L’aveu éhonté d’un manque chronique d’imagination. C’est vraiment pas bon signe.

La Vienne avant Le retour de la force.
La Vienne avant Le retour de la force.