Attention : ce texte est un spoiler pour qui n’a pas lu le roman, lisez plutôt la présentation.
J’ai proposé One Minute à quelques éditeurs. Certains me questionnent. Je réponds en toute transparence. Peut-on couper des minutes ou en ajouter ? Oui. Peut-on les réorganiser ? Oui. La version actuelle du manuscrit présente les minutes dans l’ordre d’écriture. Suivant le public cible, la collection, il est possible de changer l’angle du roman en réorganisant les minutes.
Même si l’histoire commence et se termine dans la même minute, on peut créer un suspens en introduisant plus vite les analystes, les hypos, les drones, les gardiens, le club, les adeptes du traitement longue vie… Par exemple, la seconde minute est facultative, ou peut être placée plus tard. La quatrième avec la mort du père également. On peut faire un pas vers le page-turner sans grande difficulté, en remontant des minutes plus thriller vers le début. Il existe bien des combinaisons envisageables. C’est le principe de ce texte. On peut le voir comme une sorte de jeu de cartes à battre et à rebattre.
On me demande aussi de résumer l’histoire. C’est presque une gageure. Je n’ai pas écrit ce roman avec un plan, mais avec une carte que j’ai densifiée au fil de mon travail. Je peux toutefois poser le contexte. Tout commence avec un problème logico-philosophique inspiré du paradoxe de Fermi.
- En 1948, John von Neumman a démontré la possibilité de réplicants, des robots qui se reproduisent eux-mêmes en minant des astéroïdes. Nous serons bientôt capables de les créer. Notre système stellaire étant relativement jeune par rapport à la galaxie, d’autres civilisations ont eu le temps de les créer bien avant nous. En 10 millions d’années, ils ont envahi tous les systèmes. Où se cachent-ils ? Pourquoi ne se montrent-ils pas ?
- Les IA progressent sans cesse. Selon les partisans de la croissance infinie comme Ray Kurzweil, elles seront bientôt plus intelligentes que nous. Pourquoi une IA géante n’est-elle pas née sur un système ancien avant de conquérir la galaxie ? Qu’est-ce qui a coincé ?
Le roman joue avec ces idées. Les IA d’origine humaine approchent du seuil de complexité et de conscience, avec le risque de nous exterminer (réflexion sur la nécessité ou non de réguler les algorithmes). Les réplicants nous surveillent, avides de nos arts. En même temps, ils nous protègent de la folie des IA d’origine humaine en dressant contre elles une armée de mutants, les analystes, tout en influençant le moins possible notre histoire (pour conserver notre génie propre et s’en régaler).
Pour expliquer l’absence d’une IA-Dieu, la jeune Mackenzie postule un maximum de complexité dans l’univers en s’inspirant des travaux de Wolfram). On ne pourrait pas aller au-delà. Nous autres humains serions proches de ce maximum. Du fait de leurs limitations, les intelligences, quelle que soit leur nature, n’auraient d’autre choix que faire société. Pas de place pour une divinité.
One Minute décrit un moment de complexité où toutes ces problématiques se mêlent, où tous les camps se confrontent. Il s’agit d’un jeu logique en même temps qu’un inventaire des maux d’un monde où la technologie évolue plus vite que tout le reste. C’est avant tout un portrait d’aujourd’hui.
Peut-être faut-il lire les minutes dans le désordre, ne pas hésiter à sauter, à revenir en arrière. Sur Wattpad, des centaines de lecteurs ont réussi à se passionner pour cette forme, ils n’étaient pas des mutants (du moins je ne crois pas).
Enfin, on me demande aussi dans quelle tradition littéraire One Minute s’inscrit. Pour moi, la filiation est claire. Je ne me tourne pas en premier lieu vers la SF, mais vers Italo Calvino et Si par une nuit d’été un voyageur, récits sans cesse commencés et jamais achevés. Dans la même lignée, j’ai une pensée pour un autre Italien, Michelangelo Antonioni et ses Scénarios non réalisés, qui m’ont ébloui. Bien sûr, impossible de ne pas citer Le quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durrell, merveilleuse mise en scène des points de vue multiples que j’ai poussés à l’extrême pour détruire toute idée de personnage principal. Enfin, comme toujours, Perec et les Oulipiens veillent.
Je ne devrais pas avoir besoin de m’expliquer. Tout cela devrait être évident. En fin de compte, One Minute n’est qu’un patchwork des tensions qui traversent notre époque, patchwork impossible à mettre en œuvre avec une forme ancienne, certes confortable pour le lecteur, mais pensée pour une continuité qui n’est plus la nôtre.
Présentation du roman…Décryptage théorique par Oriane Deseilligny…Premier jet encore sur Wattpad…Billets sur le roman…