Vendredi 1er, Monts-sur-Guesnes

Je diffuse avec bien d’autres le Journal d’Anne Frank alors que certains rapaces voudraient le garder pour eux, dans une démarche prédatrice opposée à l’économie de paix. Rien pour me réjouir au regard des jours qui arrivent. Je ne trouve plus de plaisir que dans quelques fictions et, plus encore, dans les avancées incessantes de la science, avec l’espoir qu’elles ne soient pas trop vite mises au service de notre servitude.

Samedi 2, Balaruc

Me voilà plongé en grande perplexité éditoriale. J’utilise One Minute comme test. Je l’ai soumis à dix éditeurs, trois m’ont déjà dit non. Gagner définitivement le monde libre ou persister à jongler avec l’ancien ? J’ai encore la liberté de choisir. Faire sécession n’est pas simple, car la marche arrière est impossible. Mon impatience chronique me donne envie de tout envoyer balader, là, tout de suite.


Quand même les petits éditeurs s’enferment dans les rayonnages et le ciblage, que nous reste-t-il comme espace d’expression, sinon l’auto-édition ?


Les créateurs qui en appellent au don ont si peur que personne n’achète leurs œuvres qu’ils usent du don pour essayer de récupérer un peu d’argent sans prendre le risque de cesser de diffuser gratuitement leur tambouille.

Mardi 5, Balaruc

J’ai envie de ne publier que des notes et j’enchaîne les billets sur mon blog. Avec blockchain, je me reprends à rêver du grand retour de la décentralisation numérique.


Une amie m’a dit qu’Aki Shimazaki avait écrit une série de cinq petits romans avec changement de point de vue à chacun. Faute de trouver une version numérique, j’ai acheté le coffret du Poids des secrets édité par Actes Sud. C’est gentiment naïf, dans une traduction bourrée d’imprécisions et de confusions. Formellement, rien de neuf par rapport au Quatuor d’Alexandrie. C’est la version soft, genre Arlequin.

Mercredi 6, Balaruc

J’ai l’idée d’écrire Blockchain démocratie, question de renouer avec l’idéal du Peuple des connecteurs mais avec plus de distance et moins d’illusions.


Je dois écrire un roman sur la résistance aux antibiotiques et je tombe sur le professeur Didier Raoult qui conteste l’idée même de résistance (il dit aussi que deux verres et demi l’alcool par jour ne posent aucun problème).

Vendredi 8, Balaruc

« Lisez-moi, invitez-moi, aimez-moi. » Appel au secours d’un auteur sur les réseaux sociaux. Jusqu’où ça ira ce rabaissement ? « Corps à offrir, fouet accepté ! » L’impudeur en fonds de commerce.

Samedi 9, Bouzigues

Chez ma coiffeuse, je lis des blogs littéraires. Arrêtez de vous regarder le nombril. À force de vous vouloir original, vous en oubliez même de savoir pourquoi vous écrivez. Vous êtes drôles involontairement. On pleure de rire devant vos alambics. Après, ne vous étonnez pas quand le vieux monde littéraire nous regarde avec mépris. Vous faites du tort à tous ceux qui cherchent en ligne un espace de liberté. Vous l’occupez avec vos miasmes.


Wattpad, c’est terrible. Tout le monde voit quand personne ne te lis. Tu ne peux plus te cacher.

Lundi 11, Balaruc

Nuit d’insomnie, à lire Casanova. J’y reviens avec toujours les mêmes éblouissements. Aucun engagement politique, aucune remise en question de l’époque, au contraire tout son génie terminal exacerbé. Le Casanova d’aujourd’hui ne peut être qu’une célébrité de la jet set. L’un d’eux écrit-il en secret le chef-d’œuvre de notre époque ? L’un d’eux est-il capable de ne pas partager en ligne ? L’un d’eux conserve-t-il un peu d’amour pour le silence ? Cet amour est sans doute la graine déterminante du génie contemporain.


David Bowie est mort. Je l’ai tant écouté. Et je pense à Yal, qui l’admirait tant, au point d’en faire un héros dans Rainbow Warriors.


« Je crois, je crois, je crois… » répète un twittos. Moi, je crois qu’il parle trop et ferait mieux de faire autre chose.

Mardi 13, Balaruc

Comment prétendre à la modernité à l’aide d’un art aussi ancien que la littérature ? La difficulté rend la chose intéressante, d’autant que les lecteurs se font rares ou ne consomment que les formes les mieux digérées. Ce n’est pas une raison pour se rendre inintelligible à la poursuite d’un spleen désolant.


Je termine la rénovation du dernier appartement de la maison familiale. Je suis dans une sorte de transe. Je ne pense pas. J’ai débranché l’introspection qui ne ressurgit que la nuit quand je liste sans fin tous les ajustements à faire le lendemain. Donc pas assez disponible pour écrire. Je me suis créé un problème de code sur WordPress pour me changer les idées. C’est mon jeu, une sorte de casse-tête.

Mercredi 14, Balaruc

Je tombe sur des photos couleur de Lartigue. Je les regarde en boucle. Impossible de ne pas aimer la vie dans ces moments d’absolue légèreté. Certaines photos ou peintures me mettent en bonheur en un instant. J’oublie trop souvent que je me suis mis à écrire que pour pêcher ce sentiment et le photographier à ma façon.

Jeudi 15, Balaruc

Casanova raconte ses aventures amoureuses, je pourrais raconter comment notre chatte pisse sur le lit de Tim dans la nuit et comment je me retrouve un peu trop tôt devant mon clavier avant d’aller ratisser le jardin de la nouvelle locataire. Je suis comme de nombreux écrivains obligé à des travaux d’à côté, assez exceptionnels chez moi. Reste qu’ils m’éloignent de ma propre pensée. Ce n’est peut-être pas un mal.

Vendredi 16, Balaruc

J'essaie de robotiser ma vie en ligne, question d'être présent dans l’absence. Bientôt des IA nous représenteront. Elles débattront à notre place. Puis nous mourons et elles continueront d’assumer notre rôle. Voilà un potentiel romanesque. L’IA qui tue son double humain pour rester aux commandes.


Je suis un peu rassuré quant à mes fonctions cérébrales. Après avoir séché sur mon problème de codage WordPress, je finis par contacter le support technique. J’ai juste mis le doigt sur un bug que personne ne sait encore résoudre.

Samedi 16, Balaruc

Les réseaux sociaux sont anxiogènes. Tous les jours je ne cesse d’y apprendre des décès, ceux de stars comme Bowie, mais surtout de gens bien plus anonymes et qui toutefois ont peuplé ma vie, oubliés, perdus de vue, et qui ressurgissent avec leurs cadavres, accompagnés d’innombrables autres cadavres, dont je ne vois s’afficher que l’âge. Impossible d’oublier la mort, elle encombre le Net comme jadis les rues des villes pestiférées.

Dimanche 17, Balaruc

Je profite d’un passage en Arles chez ma belle famille pour aller courir dans une pinède au pied de Fontvieille. J’aime ainsi découvrir des coins de nature à la vitesse de la course. Un peu plus tard sous la douche, longue et chaude, une idée surgit. C’est souvent comme ça chez moi. Il me faudrait écrire un petit essai sur les vertus de l’eau chaude, rien que de normal pour un habitant d’une station thermale.

Faux temple romain au bord de l'autoroute.
Faux temple romain au bord de l'autoroute.

Lundi 18, Paris

Dans le TGV mon voisin ne se lève même pas quand je dois m’asseoir à côté de lui. Il garde les yeux fermés tout en squattant l’accoudoir, son coude ayant tendance à entrer dans mes côtes. Je le repousse doucement. Il revient avec plus d’insistance. Je finis par perdre patience. Il me répond en anglais que nous sommes des êtres humains et que le respect s’impose. Je lui explique que l’accoudoir est en partage. Il approuve, referme les yeux, mes fourre à nouveau son coude entre les côtes. Plus jeune, je lui aurais mis un pain. Je suis trop human being désormais.


Une éditrice me demande quand l’histoire de One Minute commence ? Réponse évidente pour qui sait lire : au même moment qu’elle se termine.

Mardi 19, Paris

Je retrouve J qui me présente le patron de la revue B. Casanova écrit des pages sur ces moments. De les publier à brève échéance m’interdit de parler des gens, à moins de vouloir trahir des secrets et me faire des ennemis. Le journal blogué ne peut jamais devenir intime (ou alors il devient romanesque ou exhibitionniste). Se pose alors la fonction même de toutes ces notes puisqu’elles seront insuffisantes pour réveiller la mémoire. Il ne subsiste en elles que leur potentiel littéraire. Une sorte de saisie superficielle de la vie d’aujourd’hui.

Dans une vitrine.
Dans une vitrine.

Invité par la députée Isabelle Attard et FredricT son assistant parlementaire, je me retrouve dans les gradins supérieurs de l’hémicycle pour les questions au gouvernement. Quelle pantomime. Il faudrait en interdire l’accès, tant le spectacle de cette basse-cour est pitoyable et donne une mauvaise image de la démocratie (ou plutôt une image saisissante de ce qu’elle est vraiment). Ça ne cesse de jacasser. Personne ne s’écoute, sinon pour balancer des blagues lourdingues et sexistes. Pas beaucoup d’intelligence collective.

Le lieu de velours rouges et de dorures, de marbres et de peintures pompier, clinque comme un intérieur iranien. Il manque cruellement de légèreté et de sobriété. Il faut être bien insensible pour accepter de travailler dans cet environnement, qui par sa force propre rabaisse les débats.

Des huissiers courent entre les rangs, porteurs de messages, cachetés dans de petites enveloppes au format carte postale. Un archaïsme superfétatoire, joué à l’excès. Il me reste de ces allées venues l’image d’un bruyant marcher moyenâgeux, dans une ville aux ruelles étroites et puantes, bondées de saltimbanques et parcourues de pickpockets.

L’assemblée symbolise le refus du changement. Il s’y mime une possibilité démocratique défunte dont les caméras de TV et leurs micros directionnels cachent l’évidente obsolescence en atténuant les bruits de fond et en faisant croire à une docte concentration de nos représentants.

Heureusement, je passe par la suite un bon moment avec Isabelle et me sens en accord avec cette Martienne de l’assemblée. Elle m’entraîne retrouver Palema Anderson et Paul Watson, le fondateur de Sea Shepherd. Nous passons ensemble les portiques pour regagner les méandres de l’assemblée où Pamela et Paul viennent défendre un projet de loi contre le gavage des oies et des canards.

Les flashes crépitent. Les journalistes se battent. J’aurais pu me glisser sur la scène. Me retrouver sur quelques photos. Je m’échappe de ce charivari moderne.

Isabelle sera une des seules à la voter la loi. Les autres députés voteront contre, incapables de remettre en cause une tradition sans nécessité puisque les oies et les canards savent très bien se gaver seuls (au prix certes d’un rendement plus faible). Les députés invoqueront la défense de l’emploi, un argument-choc auquel ne résistent ni notre éthique ni nos intérêts à long terme. Si je crée des emplois, je peux polluer.

Mercredi 20, TGV

Si on est contre la souffrance animale provoquée par l’homme, on ne peut pas arrêter cette souffrance à un seuil qui serait acceptable. Soit on est pour, soit on est contre. La logique des seuils entraîne des discours sans fin. Il faut pousser les curseurs d’un côté ou d’un autre. En ce sens, Isabelle Attard est droite dans ses bottes : « Je vais devoir devenir végétarienne. » J’avoue être sur la même pente plus pour des raisons intestinales que philosophiques, reste que voir les horreurs des abattoirs est à me faire gerber.

Quand on n’est plus obligé de tuer, pourquoi tuer ? Quel sens donner à ce geste, sinon celui de se faire plaisir. Je suis incapable de regarder dans les yeux un animal et de le tuer, je n’ai donc aucun droit de manger de la viande, sauf quand j’oublie qui je suis (et ça m’arrive encore trop souvent). Les gens s’entretuent pour les mêmes raisons. Respecter les animaux est peut-être un premier pas vers le respect de ses semblables.

Encore une histoire de seuils. Il faut étendre le curseur à tous les animaux, jusqu’à nous, vers le haut. Mais alors vers le bas ? Vers les insectes, les bactéries, les virus… La position protectionniste est finalement intenable. Dans un écosystème, les individus s’entredévorent. D’où certains rituels autour de la nourriture. C’est comme se manger soi-même. Alors, prions.


Je n’ai pas le droit de déprimer, pourtant je suis en ce moment toujours dans le creux d’après One minute. Je n’ai pas de soucis financiers, j’ai quelques centaines de lecteurs. Pourquoi en vouloir davantage ? Ce désir de croissance m’empoisonne encore malgré les années. Quoique découvrir de visu la fascination exercée par Pamela Anderson sur les députés comme les journalistes a de quoi guérir de toute envie de gloire. La tranquillité n’a pas de prix. Je n’aspire qu’à elle avec toutefois assez de partage pour me nourrir spirituellement.


Dans le TGV, mon voisin a un livre posé sur sa tablette. Il ne l’a pas ouvert. Il ne cesse de discuter sur Facebook. C’est comme si le temps d’être seul nous été enlevé. Nous risquons d’y perdre notre génie. Bon préalable à la plongée dans la dictature.


J’ai eu l’idée de boire du jus de cerise quand j’ai découvert qu’après on dormait mieux.

Jeudi 21, Balaruc

Bête image que me donne le Web social. Un tel défend une juste cause, provoque un petit scandale, qui agite bientôt les médias, d’autres activistes le soutiennent, innombrables, et il continue de faire comme s’il était seul à se battre contre tous. À croire que dès le début tout n’était que marketing, qu’ego malheureux à faire apparaître au grand jour par tous les moyens. « Je veux exister. Aimez-moi, bordel. »

Attaque de grippe.
Attaque de grippe.

Vendredi 22, Balaruc

Aujourd’hui, l’état d’urgence est prolongé en France, sans raison, il devient la norme, sans que personne ne proteste ou presque. Banalisation des régimes autoritaires. Dans quelques années, j’aimerais me dire que j’étais inquiêt pour rien. Parce que tout le problème dans les mesures autoritaires c’est qu’au début elles ne concernent personne. Donc personne ne s’y oppose, puis il est trop tard.

Jeudi 28, Balaruc

J’attaque Résistants, un roman de commande. Pour le moment, je tâtonne, aucune idée de la forme narrative à adopter, celle de One Minute reste si puissante qu’elle contamine tout ce que je touche, je dois pourtant m’en défaire, quitte à y revenir plus tard. Alors je teste des textes sur Wattpad, j’attends une résonnance avec les lecteurs.

Dimanche 31, Balaruc

Résistants s’adressera en priorité aux jeunes. Un roman pour jeunes met en général en scène des jeunes. J’ai feuilleté les best-sellers young adults de ces dernières années. Au moins 80 % sont écrits à la première personne, avec point de vue unique, ce qui facilite l’identification du lecteur, évite l’effort de changer sans cesse de perspective (comme nous l’impose Stephen King dans Fléau, sa version polyphonique du roman épidémiologique). Le « je » des romans populaires est assez particulier, c’est une troisième personne qui se cache à la première. Le « je » du narrateur n’hésite pas à dire son nom, à déballer son CV. Pas question de s’embêter avec la vraisemblance. Sorte d’affirmation du romanesque. « Je vous raconte une histoire, n’allez pas croire que je suis écrivain. » J’aime cette approche.

Le rayon vert.
Le rayon vert.