Je ne suis pas modeste, j’aime avoir des lecteurs. Je me moque d’en avoir plus que les autres, mais si je ne suis pas lu, je me sens un peu mal.
Hier soir, j’ai croisé d’autres auteurs qui presque tous m’ont fait souffrir tant ils sont attachés à leur statut d’auteur et si peu préoccupés d’avoir ou non des lecteurs. Ils se veulent auteur pour exister dans la société. Pour ma part, je ne suis auteur que parce que j’écris et j’écris pour voir le monde, et pour que mes lecteurs me transmettent un peu d’énergie pour mieux voir et pour qu’en retour je les aide à mieux voir, donc idéalement à mieux vivre, ou à vivre davantage, un truc dans le genre.
J’ai l’espoir insensé que la littérature transforme ma vie, celle des lecteurs, et donc le monde. Distraire n’est donc pas ma préoccupation, mais je veux tout de même être lu, dans un temps où la distraction domine pour nous faire oublier nos maux sociétaux, pour nous cacher la réalité que je tente sans cesse de conquérir (et je préfère encore la distraction à la religion).
Et ce matin, je reçois une invitation de Tale of Tea me proposant de participer à une chaîne de blogs, je ne suis pas spécialement motivé, mais curieux je clique sur les blogs avec lesquels je partage l’invitation, j’en ajoute certains à mon Feedly : Dorian Lake, Lionel Davoust, De Mots en Livres (preuve que cette chaîne fonctionne). Et chaque fois s’affiche une petite vignette avant validation où on découvre le nombre d’abonnés Feedly.
J’ai déjà remarqué cette particularité et me demande pourquoi alors que la plupart des blogs que j’ajoute n’ont pratiquement aucun abonné d’autres comme celui de Lionel Dricot, de François Bon ou le mien en comptent des centaines.
Sommes-nous des centaines de fois plus lus ? Ou bénéficions-nous de notre ancienneté sur le Net ? J’ai bien peur qu’une réponse affirmative à la seconde question s’impose.
Les jeunes lecteurs n’utilisent sans doute pas Feedly et se contentent des recommandations sociales. Notre score Feedly démontre l’ancienneté de notre public ou son côté geek.
Le faible score Feedly de la plupart des autres blogs démontre que leurs lecteurs obéissent à l’injonction de la centralisation imposée par les géants du Net, soit « Ne lisez plus à la source, lisez depuis chez nous. »
Je pressens aussi dans le faible score des blogs moins anciens que le mien la mort annoncée des fils RSS, des abonnements, de tout ce qui maintient encore en vie un semblant de blogosphère.
Je suppose également que les jeunes blogueurs (pas en âge mais en existence sur le Net) utilisent de nouvelles stratégies de diffusion et que leur lectorat est plus éclaté. Depuis que je publie mes billets en intégralité hors de mon blog (Feedly/RSS, Medium, ma page Facebook, Tumbr, newsletter…), je constate que chaque fois des lecteurs arrivent, différents de ceux du blog.
Il est donc devenu impossible de mesurer une audience par un seul score. Et l’agrégation de dizaines de statistiques me paraît vaine. Nous sommes condamnés à ressentir notre audience numérique plus qu’à la mesurer.
PS : L’éclatement de l’audience rend caduc le projet de monétiser un blog. En revanche, demander aux lecteurs de payer quelque chose me paraît une des manières possibles de mesurer leur fidélité. Pour le moment, je leur/vous demande de payer les textes que je publie en livre. Ça pose le problème de la rétribution de l’écriture purement Web, sans doute celle qui est la plus engagée dans le contemporain.