Quand je parle de politique, j’ai l’impression que seulement de rares olibrius me comprennent. Les autres, parce que je ne me range ni dans leur camp ni dans celui de leurs adversaires, se contentent de se moquer avec dédain, sans chercher à écouter mes arguments (parce qu’ils ne sont ni les leurs ni ceux de leurs adversaires).
On pourrait définir le libéralisme économique par « Maximiser la liberté de quelques-uns au détriment de celle de tous les autres. » Avec pour postulat que « Maximiser la liberté de quelques-uns finit par maximiser celle de tous. » Ce qui est faux comme Pikkety l’a montré. Je suis donc contre le libéralisme économique et toutes les mesures qui s’en revendiquent de près ou de loin. Une mesure me paraît juste et nécessaire si elle maximise également la liberté de tous.
Ainsi, en 2008, j’ai été contre quantitative easing qui en sauvant les banques nous a tous appauvri. J’ai été contre Hadopi parce que cette mesure, pour défendre les majors de la musique et du cinéma, réduit notre liberté d’échanger des fichiers. J’ai été contre la loi renseignement parce qu’elle maximise la liberté de la police et non celle des citoyens. Je suis contre la réforme du droit du travail parce qu’elle maximise la liberté des patrons et non celle des employés. J’espère que c’est clair.
Être contre cette réforme ne m’empêche pas de me demanderpourquoi cette dernière déclenche une vive réaction contrairement à toutes celles qui ont précédé. Je vois bien qu’elle touche au cœur tous les salariés. Je comprends leur réaction. Je ne la réprouve pas, d’autant moins qu’elle s’inscrit dans mon propre combat.
Simplement, j’ai tenté de montrer que la grogne provoquée par la réforme du droit du travail naissait d’un mouvement conservateur plutôt que réformateur (sinon ce mouvement se serait manifesté bien plus tôt lors des batailles antérieures menées par très peu de citoyens).
Il me paraît donc important que la grogne soulevée par une réforme libérale gagne au plus vite le terrain progressiste. Si elle se limite à dire non, jouant un simple bras de force sans lendemain, il n’en résultera rien de bon. Au mieux, une belle énergie sera gaspillée qui aurait pu servir à mener des combats fondamentaux comme le droit à un revenu de base pour tous. Au pire, elle entraînera notre pays vers davantage de conservatisme, et donc davantage de restrictions de liberté.
On m’a dit que pour aller de l’avant il fallait d’abord assurer ses arrières. En gros : menons bataille après bataille. Sauf que vous ne vous êtes pas mêlés aux combattants lors des échéances antérieures, certes plus abstraites, moins immédiatement sociales, mais tout aussi fondamentales. Alors, permettez-moi de douter de votre théorie.
Il est facile de voir dans la révolte actuelle une simple réaction égoïste. « On touche à ma maison, je ne me laisserai pas faire. » Sauf qu’avant on y a touché tout autant à la maison, en sapant ses fondations en profondeur.
Je n’ai rien contre à ce que la grogne commence par une réaction d’amour propre teintée d’égoïsme, il est surtout important de l’anoblir, de lui donner l’ambition d’un combat d’envergure et de dépasser la défense des acquis. Il faut en faire la goutte qui fait déborder le vase et non une simple escarmouche.
Oui, j’ai peur que la grogne ne soit qu’une nouvelle démonstration du conservatisme français. J’ai peur qu’elle nous entraîne très bas, vers des idéologies périmées. Je n’écris ces lignes que pour inviter à la prise de recul. Dans ces moments, je me sens très seul.