J’ai écrit ce texte il y a déjà deux ans. Je ne l’ai pas publié parce que je n’étais moi-même pas prêt à me déclarer indépendant et je ne le suis toujours pas. Je vous le soumets pour poursuivre la réflexion.


Depuis toujours les producteurs et les créateurs ont été sous l’emprise des distributeurs, ce n’est pas une raison pour perpétrer ce qui n’est pas un état de fait. Le droit d’auteur est un avatar du passé, qui a pour seul intérêt de limiter notre potentiel créatif. Nous, auteurs, devons prendre notre destin en main.

Préambule

  1. De la nécessité de différencier deux fonctions : publishing, action de diffuser un texte par tous les moyens possibles et de l’amener jusqu’au public ; editing, action de parfaire un texte et de l’amener à l’excellence. Un éditeur unit traditionnellement ces deux compétences de publisher et d’editor. L’editing est un moyen d’optimiser le publishing, lui-même souvent sous-traité en grande partie à un distributeur.
  2. Nouer des liens libère à condition que ces liens soient réciproques et que chacun des agents liés dispose des mêmes droits et devoirs (j’ai effectué cette démonstration dans L’alternative nomade). Ça n’a jamais été le cas pour les auteurs vis-à-vis des éditeurs, sauf éventuellement pour les auteurs de best-sellers qui inversent la relation de dépendance.
  3. Depuis l’avènement du numérique, l’éditeur n’est qu’une des interfaces possibles entre l’auteur et les lecteurs. De ce fait, l’éditeur ne peut gérer l’ensemble de la diffusion et de la promotion d’un auteur, sans en même temps réduire son potentiel (à moins d’exiger de l’auteur un travail non autorial, travail qui s’ajoute à celui de l’écriture, travail jamais rémunéré). L’exclusivité de distribution n’avait de sens que face à un canal de distribution unique et unilatéral.

Déclaration

  1. Je suis auteur parce que je le décide et non parce qu’une quelconque communauté professionnelle ou médiatique m’adoube.
  2. La décision de diffuser un texte ne dépend que de moi. Je suis mon propre censeur.
  3. Les attentes des lecteurs comme les formes dominantes de mon temps ne m’obligent en rien.
  4. Je ne dépends pas de mes revenus d’auteur pour continuer à être auteur.
  5. Je suis un artisan qui diffuse lui-même le fruit de son travail.
  6. Comme tout artisan, je peux vendre en direct ou à travers un réseau de distribution, avec des intermédiaires ou pas.
  7. Quand je travaille avec des partenaires commerciaux, je conserve la possibilité de leur retirer le droit de diffuser mes œuvres, notamment quand ils deviennent incapables d’atteindre les objectifs que nous avons fixés ensemble (ventes/an par exemple).
  8. Quand des collaborateurs m’aident à faire l’editing une œuvre, je les rémunère du mieux que je peux, au forfait ou au pourcentage, mais je ne leur accorde aucun droit sur l’œuvre qu’ils m’ont aidé à parfaire.
  9. Je crois à la force stimulante des contraintes et j’accepte donc les commandes, mais j’agis avec les œuvres ainsi produites comme avec celles nées de mes seules inclinaisons, à moins d’un investissement à la hauteur du travail exigé, ce qui pourrait nous lier contractuellement de manière plus étroite et durable.
  10. Le publisher est un partenaire commercial, il n’a aucun droit sur mes œuvres. L’editor est un collaborateur avec lequel je peux partager les risques et les bénéfices pour une durée déterminée. Là s’arrêtent nos engagements contractuels.

Conséquences

  1. Je n’ai besoin de personne pour publier mes textes (ce qui ne m’empêche pas de les publier souvent en coopération avec d’autres).
  2. Les contrats d’édition actuels sont caducs. Quand les éditeurs ne versent plus ou quasiment plus de droit aux auteurs, ils doivent leur rendre leurs droits (recevoir moins de x €/ans pour un texte devrait entraîner la rupture contractuelle automatique).
  3. Les éditeurs doivent se transformer en agent de distribution, de promotion, d’editing… Les auteurs ne sont plus les chevaux de leur écurie, mais leurs partenaires dans le business.
  4. Si je publie moi-même un texte, un éditeur peut en demander la distribution s’il pense pouvoir étendre ma base lecteur. Sans renoncer moi-même à la vente directe, je peux lui accorder une exclusivité temporaire et renégociable à échéance sur une zone géographique et linguistique.
  5. Quand je diffuse seul un texte, je le vends presque aussi bien qu’en passant par un éditeur. Je n’ai donc besoin d’un éditeur que pour faire mieux que je ne le ferai seul (passage de l’artisanat à l’industrie).
  6. Dans le commerce, les inventeurs/créateurs de produits ne cèdent pas leurs brevets à leurs distributeurs. Il est temps que les éditeurs se comportent avec les auteurs comme les autres professionnels du business.
  7. Il est aussi temps que les journalistes, chroniqueurs, chercheurs… prennent conscience que l’édition n’est qu’un business et qu’elle ne préjuge en rien des qualités d’un texte.
  8. J’écris les textes que j’aime, je les diffuse même si mes partenaires commerciaux ne veulent pas me suivre dans les régions littéraires encore mal défrichées. Je n’ai aucun scrupule à leur abandonner le champ du mainstream. Simplement, qu’ils ne viennent pas après me parler d’art ou de contemporain.
  9. Je ne mets pas tous les éditeurs dans le même panier et j’applaudis ceux qui acceptent l’indépendance des auteurs et font d’eux de véritables partenaires.
  10. Je suis généralement très heureux quand je travaille avec des éditeurs et c’est tout le paradoxe. Mon bonheur provisoire ne doit pas limiter mes libertés futures mais au contraire les démultiplier.