Pokémon Go : contre ses détracteurs tuent la joie

Hier, avec Émile et Tim, nous avons plusieurs fois parcouru le village à la recherche de Pokémons. L’enthousiasme de mes enfants m’a enthousiasmé. Pour une fois, ils ont envie de marcher durant des heures. Ils me disent même qu’ils veulent aller à Paris, à New York, dans les musées. Soudain les villes deviennent pour eux attractives alors qu’elles les indifféraient jusque là.

Deux coffres visibles depuis la maisons.
Deux coffres visibles depuis la maisons.

Quand nous allons ouvrir des coffres pour refaire le plein en armes et potions, nous rencontrons d’autres joueurs dans de nouveaux points de rendez-vous matérialisés par magie, où déjà une nouvelle vie sociale s’invente. Le village, rempli de touristes et de curistes en cette saison, se transforme soudain en terrain de chasse heureux. Partout des gens traquent le Pokémon avec une fièvre belle à voir. Je n’ai jamais assisté à un embrasement viral d’une telle ampleur, il envahit l’espace, les promenades, les parcs, les terrasses… J’ai vu des ados, seuls ou en groupe, j’ai vu des couples, j’ai vu des retraités, j’ai vu des centaines de gens rire et se suivre, se retrouver et se séparer.

Je ne peux m’empêcher de penser à ma jeunesse, quand nous jouions au baby-foot, quand nous courions de café en café pour rechercher des adversaires et des partenaires de jeu, et en même temps nous faire de nouveaux amis.

Pokémon Go réinvente tout cela, et ouvre des possibilités excitantes. J’ai l’impression qu’il se passe enfin quelque chose de neuf dans le monde numérique, quelque chose qui nous remettra en route et transformera notre monde en terrain de jeu, ce qu’il n’aurait jamais dû cessé d’être, et que l’actualité a tendance à nous faire oublier, parce que des hommes trop tristes et fanatisés jusqu’à la folie ont eux-même oublié que la vie était un jeu privé de sens.

Je pense à mon père, qui cherchait sans cesse des endroits où tirer des canards ou des lièvres, qui en bon chasseur-cueilleur avaient justement transformé le territoire en plateau de jeu. Nous ne faisons que revenir à cette ancienne façon de vivre, celle de mon enfance, plutôt que celle de ma vie adulte cloîtrée dans un bureau. J’ai éprouvé durant toute la journée une sensation de nouveauté incroyable, rêvant de possibilités littéraires, de jeux de piste dans les mots et les lieux, des plans d’une ville à la Julien Gracq réédifiés dans l’espace.

Quand je me suis couché, j’ai songé qu’il me fallait écrire un article pour partager mes sentiments, je croyais cet effort d’autant plus nécessaire que, depuis la sortie de Pokémon Go, je ne cesse de lire des articles alarmistes publiés par des critiques qui n’ont même pas pris la peine d’essayer de jouer.

Ce matin, je me dis à quoi bon. Les gens se fichent bien de ce que je pense, ils en ont assez de ce que les autres pensent, ils ont juste envie de vivre et de s’amuser. Alors je n’écris qu’une note dans mon carnet, quelques mots pour plus tard, pour quand je serais plus objectif. En cet instant, j’en ai assez des critiques, qui profitent du moindre évènement pour tirer la couverture à eux et tenter, en agitant leurs bras, de passer dans les médias, toujours prêts à sauter sur les mauvais augures.

J’ai joué à Pokémon Go avec mes enfants, avec mon téléphone, parce qu’ils n’ont pas de téléphone. Nous en avons fait une expérience transgénérationnelle et familiale très intense, parce que chacun partageait sa joie avec les autres, chacun motivé par le jeu. Émile et Tim intéressés par gagner des niveaux, effondrés après avoir perdu une bataille dans une arène, et moi stimulé par leurs débordements autant que par le plaisir de voir la suractivité surajoutée par les joueurs à une vie de villégiature d’habitude beaucoup plus monotone.

Le jeu en lui-même n’a guère d’intérêt, il n’en est qu’à ses balbutiements et offre tant de possibilités de développement que je crois qu’une page est tournée, que les jeux vidéo que nous connaissions jusque là ont pris soudain un coup de vieux, une baffe qui les reléguera au rang de souvenirs. Pokémon Go associe l’expérience physique et spatiale au gaming, il reconnecte le corps et l’esprit, il démultiplie m’intensité de l’expérience, et sans doute ses aspects addictifs.

Mais de cela je me moque, parce que des milliers d’addictions nous guettent au quotidien et que nous apprenons à vivre à côté d’elles, sans passer notre vie à évoquer leurs dangers ou à nous y abandonner. Nous pourrions ne penser qu’à baiser, qu’à boire, qu’à nous défoncer, qu’à danser, qu’à courir, qu’à parier… Être humain, c’est être modéré, c’est contrôler les excès tout en vivant avec leurs possibilités menaçantes et ne succomber que par intermittence.

Pokémon Go s’ajoute à une liste déjà ancienne de choses qui nécessitent une initiation à la modération et à l’art, et je m’efforce de jouer ce rôle avec mes enfants, en limitant le temps de jeu, en les accompagnant systématiquement, en partageant avec eux. Chacun vivra l’aventure à sa façon, avec son éthique et les contraintes propres aux possibilités de son libre arbitre. Pour le moment, j’éprouve du bonheur de voir soudain des hordes de joueurs avec la banane parcourir mon village dans ses moindres recoins.

PS : Au final, ce qui n’était pas un article peut bien finir sur mon blog comme tel.