Nationalisme, racisme, populisme, démagogie, homophobie, discriminations, conservatisme… je n’ai rien pu faire contre. J’ai milité auprès de tous les gens que j’ai pu croiser, j’ai prêché infatigablement sur tous les médias à ma disposition, et ces maux que je combats ne cessent de prendre de l’ampleur, partout dans le monde.

Qu’est-ce que j’ai mal fait ? Qu’est-ce que je ne vois pas ?

J’ai longtemps pensé qu’en me tendant vers l’avenir, en rêvant de la société de demain, j’entraînerais avec moi quelques personnes, et que d’autres, à leur tour, en entraîneraient d’autres, et que tous ensemble nous construirions une société plus respectueuse, plus douce, plus accueillante, plus équitable, plus heureuse, plus folle…

J’ai échoué, les autres aussi. Pourquoi ? En quoi je diffère de ceux qui veulent nous ramener en arrière ? Je n’ai jamais eu peur de l’avenir. J’ai toujours été curieux de l’inattendu. J’ai toujours été prêt à expérimenter, quitte à prendre des risques. Une fois pour toutes, je dois admettre que ce trait de caractère, commun à la plupart des artistes, des intellectuels, des aventuriers, n’est pas très répandu.

J’ai l’impression que pour la plupart nous espérons autant que nous craignons l’avenir. Pour un politicien, mais aussi pour un artiste ou un intellectuel, il est plus facile d’éveiller cette peur, de la travailler au corps, d’en faire un terreau fertile, plutôt que de parier sur une exaltation fugitive, aux paramètres inconnus.

La peur, c’est du solide. Quelque chose que nous connaissons tous, un sentiment primitif, un capital qui mérite d’être investi et qui rapporte gros. J’ai nié cette réalité. J’ai lamentablement échoué et l’avenir que j’espérais insolent me promet maintenant d’être désespérant. Voilà le monde que je prépare à mes enfants.

Que puis je faire ? Continuer comme avant, avec l’espoir insensé que cette fois je ferai bouger quelques amis, qui en feront bouger d’autres, ou dois-je changer de stratégie ?

Je regarde, autour de moi, tous ceux présumés qui partagent mes espérances. Ils se sont investis dans des associations, ils ont milité pour des causes positives dans la rue, dans les écoles, même lors des élections, ils ont essayé de contourner les obstacles à l’aide du marketing, du business, des lois, de l’art… Je dois bien admettre que provisoirement ils ont tous échoué autant que moi.

Tous ensemble nous avons construit une société triste… Notre échec, c’est notre propension à la mélancolie, une mélancolie assez commune chez les décadents.

Quand je me sens entraîné sur cette pente, je lis la littérature scientifique. Nous n’avons jamais été aussi créatifs. Nous avons des idées pour produire de l’énergie propre et gratuite, pour explorer l’espace, pour automatiser toutes les tâches rébarbatives et offrir un revenu de vie à tous les humains. Le monde dont je rêvais est toujours là, prêt à éclore, mais la plupart des gens n’en veulent pas.

Il est tentant de voir l’échec de la démocratie, qui implique la conquête de la majorité, une conquête qui s’appuie sur les sentiments les plus faciles à stimuler et fait donc de la peur sa matière première.

La démocratie ne fonctionne que dans une société optimiste, qui rêve de jours meilleurs. Quand les rêves cessent, la démocratie engendre le conservatisme, et très vite le totalitarisme.

J’ai dénoncé ces mécanismes, sans effet. Soit ils sont plus forts que moi, plus forts que nous, soit nous ne savons pas nous y prendre pour ramener l’espoir en chacun de nous, l’espoir nécessaire à la démocratie.

J’admets que m’accuser ne va pas dans le bon sens. Je devrais encore une fois proposer, je ne devrais pas me laisser séduire par la peur. Mais oui, je m’accuse d’avoir peur, tout en sachant que la peur engendre la peur et qu’il ne peut rien en sortir de bon.

Que faire ? Je ne sais tout simplement pas. Peut-être que cette incertitude est un commencement. Il suffit de voir combien nos politiciens de tout bord et de tout pays sont sûrs d’eux. En oubliant de douter, ils ont oublié de se tourner vers l’avenir.

Je m’accuse donc de ne pas assez douter.

Je m’accuse de renoncer.

Je m’accuse de perdre espoir.

Je m’accuse de ne pas avoir foi en vous.

Je m’accuse de prêter une oreille aux mauvais augures.

Je m’accuse de me plier aux règles d’un jeu qui ne fonctionne plus.

Je m’accuse de subir.

Je m’accuse de ne plus être moi-même.

Je m’accuse de vouloir voir le changement dans les autres.

Je m’accuse de ne pas agir, encore et encore.