Même si je m’intéresse peu à l’actualité politique, ses vagues m’atteignent parfois jusqu’à me donner la nausée. J’ai alors envie de fermer toutes les écoutilles, de me débrancher d’Internet, de me replier dans le cocon familial et de me contenter de grandes balades dans la nature. Mais je culpabilise. En fuyant, j’accepte la décadence de nos institutions.
Je me dois donc de réagir, de combattre avec mes armes, les mots. Dans ma petite ville, où je suis né, où des amis d’enfance occupent certaines responsabilités, je constate les mêmes dérives qu’à l’échelle régionale ou nationale. On fait travailler ses proches, on leur donne des salaires, des avantages, on leur accorde des faveurs, on minimise ses impôts, on cache, on dissimule, on offre… on se sert dans la caisse sans en éprouver la moindre culpabilité, on trouve même ça normal et celui qui ose critiquer est rapidement ostracisé.
Ces derniers temps, j’ai entendu beaucoup de gens dirent : « Ils font tous ça, pourquoi lui en vouloir à lui ? » Cette rengaine me fait plus peur que les détournements de fonds publics. Elle signifie que de plus en plus de gens acceptent les règles d’un jeu pourri et sont même prêts à voter pour des égoïstes qui raflent tout ce qu’ils peuvent même quand ils n’en ont pas besoin pour assurer leur confort. Ils thésaurisent comme s’ils se préparaient à la catastrophe qu’ils sont eux-mêmes en train de précipiter (situation propre aux régimes décadents).
Quand des voix s’élèvent pour réclamer la transparence au sujet de l’usage des fonds publics, de nombreux élus répondent que c’est inacceptable. Ils veulent rester libre de distribuer leur pécule à qui ils le souhaitent, pour s’acheter des électeurs autant que remplir leurs caisses personnelles.
Je ne suis pas un intégriste de la transparence. Je n’ai pas envie de dévoiler les moindres détails de ma vie. J’attache de l’importance à l’anonymat, à la solitude, à la discrétion, mais il me semble qu’en politique nous avons le droit de savoir à quoi servent nos impôts, dans le cas contraire nous devrions être en droit de refuser de les verser.
Faudra-t-il en arriver à une grève de l’impôt ? Faudra-t-il couper les vivres à nos élus, au risque de provoquer le chaos ? Je ne le souhaite pas, mais cette situation me paraît dore et déjà moins pire que de laisser le fruit pourrir sur sa branche jusqu’à ce qu’il en tombe et s’écrase sur nos têtes, parce qu’encore une fois ceux qui n’ont pas profité des largesses du système seront les premiers touchés.
Oui, « Ils font tous ça », mais ce n’est pas une raison pour l’accepter. Nous devons nous demander pourquoi ils le font. On ne peut plus les accuser individuellement, on doit se demander ce qui dans nos institutions favorise leur fleuraison. Il faut donc réviser nos lois, les nettoyer, les clarifier. Cela ne se fera qu’en enlevant peu à peu de plus en plus de pouvoir à nos élus, de telle façon qu’ils rejoignent le rang des autres citoyens, et qu’ils se fondent en nous.
Au contraire, à chaque élection, nous dépensons de l’argent public pour faire en sorte que certaines personnes se détachent et se placent au-dessus de chacun de nous. Nous payons banco leur campagne promotionnelle. Nous leur crions que nous les aimons ou les détestons, et dans tous les cas nous les mettons en avant. Et leur tête grossit, et ils se croient tout permis. Ils en oublient la décence commune. Tout ça par notre faute. Nous sommes responsables de leur maladie. À force de nous voir nous intéresser à eux, ils se croient supérieurs à nous, ils finissent même pas nous mépriser, par se moquer de nous, par vivre comme si nous n’existions plus. Ils ont été mis en orbite. Et ils planent, là-haut, détachés de nos contingences, et donc incapables de les prendre en compte.
Quand ils versent des salaires pour des emplois fictifs, aucune sonnerie éthique ne résonne en eux. Ils ressemblent à des psychopathes, le propre des psychopathes étant de ne plus ressentir la moindre empathie pour leurs semblables. Voulons-nous vraiment continuer de donner le pouvoir à ces individus ? Si vous répondez par l’affirmative, je retourne me promener.