Je regarde peu la TV, mais je ne rate ni le Tour de France, ni le débat de la présidentielle, événements d’une égale nature sportive. Hier soir, j’ai donc assisté à une ascension nerveuse du Galibier, avec une Le Pen qui ne cessait de planter des banderilles auxquelles Macron répondait au tac au tac.
À sa place du jeune loup, j’aurais usé d’une autre tactique. J’aurais laissé mon adversaire s’échapper, prendre le vent, s’épuiser, consommer tout son temps de parole alors synonyme d’énergie, avant de la rejoindre et de la déposer.
Peu stratégique, cette course était monotone, répétant invariablement les mêmes séquences. Pour me distraire, je me suis amusé à gribouiller un petit dessin que j’ai posté sur le Net.
Plusieurs personnes m’ont alors demandé si j’étais sérieux, si vraiment je jugeais les deux coureurs du même acabit. Ces commentateurs attachaient de l’importance à la course, lui accordant une importance plus grande qu’à une autre.
Pour moi, ce n’était que du sport, un sport libre dans une cour d’école. J’étais incapable de voir se jouer le destin de mon pays, tant Le Pen était ridicule, et Macron trop bon élève, trop bien élevé, qui levait le doigt pour dire « Mais Madamme, vous ne respectez pas la règle du jeu, ce n’est pas bien. »
Je conseille souvent à mes garçons de se méfier des cancres, dont le profil dans les collèges est de plus en plus prisé. Il semblerait de bon ton d’échouer, voie royale de l’insertion sociale. Plus Le Pen s’énervait, plus j’avais envie de dire à mes garçons : « Voici ce qu’il ne faut pas faire. » Ses délires, ses approximations, ses mensonges, ses bourdes ont vite fini par me fatiguer, et les tentatives de Macron pour remettre de l’ordre me le faisait voir comme un tout petit bonhomme sautant le plus haut possible pour attirer l’attention : « Moi, moi, j’ai la bonne réponse. »
Ces gesticulations ne m’ont pas rendu Macron respectable, d’autant que ses propositions étaient sans attrait, sans rupture avec celles de ses prédécesseurs, sans imagination, et que de toute évidence elles ne changeraient rien à rien. D’un autre côté, plus la cancre s’époumonait, plus je la trouvais antipathique. Je ne cessais de me dire : « Elle est trop con. » Là où je la croyais habile escrimeuse, je la découvrais bêtement méchante.
À force de rire de ce spectacle, j’ai fini par en avoir honte. Je vis dans un régime politique qui organise ses jeux du cirque. C’est pitoyable, d’une bassesse insondable. J’étais en train de contempler la chute d’un idéal, de voir se rejouer la décadence romaine. Et que des commentateurs ne voient pas le cynisme de mon gribouillage était encore plus alarmant. Que des gens puissent prendre au sérieux ce qu’est devenue la farce électorale était en soit encore plus inquiétant que les gesticulations des candidats assez prétentieux pour prétendre nous commander, assez fous pour s’en croire capables, assez dingues pour ne pas douter de leur grandeur.
Tout cela est à pleurer ou à rire. Impossible de réagir autrement. La modération n’a plus sa place dans les fastes impériaux. Notre civilisation a l’arrogance de donner en spectacle son effondrement, elle le fait avec tant de sérieux que j’en prends peur.
Stop, le spectacle est terminé. Nous avons un autre monde à construire. Et ça, c’est bien plus fun. Quand une civilisation meurt, une autre naît.