Je ne lis presque que des morts, rarement des nouveautés, ou elles sont bien éventées, arrivant à moi après de si nombreux méandres que les chroniquer n’aurait plus d’intérêt, alors je me contente le plus souvent de quelques lignes dans mon journal. Néanmoins je zieute avec plus d’attention certains de mes contemporains. Souvent ils ont fini par devenir des amis, ou peut-être est-ce parce qu’ils sont des amis que j’aime les lire, je ne suis plus très objectif. Dans cette famille étroite, il y a Lilian Bathelot.
J’ai déjà parlé de Terminus mon Ange et du Rire d’Olga, deux romans noirs sur fond de lumière. C’est ça la patte de Lilian, raconter des histoires sans issue qui donnent l’occasion aux protagonistes, et donc à nous autres lecteurs, de profiter un dernier instant de toutes les possibilités positives offertes par la vie. Ce programme littéraire et politique trouve sa plus minimaliste exposition dans Terminus mon Ange : un truand en cavale tombe amoureux dans le train qui l’amène à la mort, sorte de métaphore de la société contemporaine qui fonce droit vers le mur du réchauffement climatique et nous laisse pour seul choix notre activisme libertaire.
Dans Simple Mortelle, Lilian reprend cette trame pour lui donner de l’ampleur. Son éloge de la liberté n’a jamais été aussi lumineux. Je ne peux m’empêcher de penser que durant l’écriture de ce roman Lilian est passé près de la mort, exactement comme ses personnages, qui, conscients de leur présence limitée en ce monde, embrassent la vie plutôt que de sombrer en se plaignant.
Sur fond d’une histoire jouée d’avance, et l’issue est entendue dès le début, Lilian nous amène quelque part dans les Corbières, entre Pyrénées et Méditerranée. On marche dans les garrigues, on escalade les pierriers, on suit les cingles entre les épineux, on mange les figues et les asperges sauvages, on respire cette terre brûlée par le soleil, balayée par le cers, parcourue par les nuages blancs sur fond de bleu éclatant.
Lilian aime ces paysages, je les aime aussi, y passant des heures sur mon vélo pendant que Lilian en escalade les parois rocheuses. Son texte est un appel au grand air. Au fil des pages, je n’avais qu’une envie : filer explorer les villages au-dessus de Limoux.
J’ai même effectué une requête pour dénicher Malissègre, centre géographique de l’action. Google m’a affiché la page de Missègre, une autre commune de l’Aude. Tout à côté se niche le village de Bouisse. J’ai bien ri. Parce que Simple Mortelle est publié par la Manufacture de livres dont un des auteurs vedettes est Franck Bouysse avec son best-seller Grossir le ciel, un roman qui appartient à la même famille que celui de Lilian, un roman qui se joue loin des villes dans une nature puissante, véritable héroïne à qui, moi lecteur, j’ai envie de m’identifier.
Missègre n’existe pas, pas plus que Combray ou Balbec. C’est un lieu littéraire, qui peu à peu prend vie et où nous finissons par connaître les rues et les habitants, nous prenant des envies de passer nos vacances dans le coin.
Je me souviens d’être intervenu pour des lectures dans les villages d’Espezel et de Mouthoumet, je me souviens de la route qui après Limoux n’en finissait pas de serpenter entre les montagnes, je me souviens d’un terrible orage sur ces pentes, je me souviens de l’appel des sommets depuis lesquels la mer devait se dévoiler dans le lointain. Ces souvenirs ont enluminé ma lecture. Lilian les a convoqués, leur a redonné vie. Je suis certain que son texte a le pouvoir de puiser dans nos mémoires les images pour servir sa fiction, je suis même certain que l’effet doit être encore plus puissant pour un citadin qui ne fréquente pas nos garrigues. Dans un monde qui court à sa perte, Simple Mortelle est un manuel de survie.
PS : Je publierai bientôt Mon père est un tueur à la Manufacture de livres.