Cinq jours après la mort d’Elaine peu de choses filtrent. Sa fiche Wikipédia s’épaissit sans qu’elle n’en dise beaucoup plus que ce que les médias ont initialement laissé filtrer, sinon qu’Elaine a passé son bac au lycée d’Apache Junction en 1985.
Apache Junction chevauche les comtés de Pinal et de Maricopa, au cœur du désert de Sonora, dans l’agglomération de Phoenix en Arizona. Le lycée se trouve à 44 km de l’endroit où le robot a fauché Elaine.
Quand Elaine a été arrêtée en 2014 et 2015 pour possession et usage de drogue, notamment de marijuana, et pour violation de probation, c’était toujours dans le comté de Maricopa. Elle a été emprisonnée, numéro de matricule 003359237, dans la prison du compté de Pinal, une cinquantaine de kilomètres au sud du lieu de l’accident. Elaine semble avoir passé sa vie dans un périmètre restreint, ce qui est assez logique pour quelqu’un qui se déplaçait à vélo.
Ces informations sont à vérifier. Il existe deux fiches de détenu pour Elaine Herzberg, avec la même photo, mais ses mensurations varient, 1,57 et 73 kg dans la première, 1,60 m et 68 kg dans la seconde, ce qui dessine deux femmes assez différentes.
Au moment du drame, Elaine traversait North Mill Avenue d’ouest en est, peut être pour atteindre une des bicoques situées dans le terrain vague qui borde l’avenue, un terrain situé au flanc de Red Moutain Freeway, donc bruyant, pas très attirant, et où on peut imaginer que vivait une SDF parmi d’autres SDF.
Depuis la freeway, on peut voir le terrain vague et notamment un chemin qui rejoint North Mill Avenue au lieu de l’accident. Elaine prenait peut-être souvent ce chemin à vélo.
Une chose est sûre, Elaine ne s’est pas suicidée. Elle avait fait des courses, elle rentrait donc chez elle, peut-être la tête trop pleine des choses qu’elle aurait aimé écrire. Dans la voiture qui fonçait sur elle, Rafaela Vasquez ne regardait pas la route, aurait-elle pu freiner dans le cas contraire ? Peut-être pas mieux que les dix autres conducteurs qui dans la semaine précédant la mort d’Elaine ont tué dix piétons rien que dans l’État d’Arizona.
Ironie du drame, avant d’être embauchée par Uber, Rafaela Vasquez a passé presque quatre ans en prison au début des années 2000, pour tentative de vol à main armée. On retrouve donc deux femmes à la vie difficile, utilisées à des fins expérimentales par des firmes technologiques obsédées par la croissance rapide.
On compare Elaine à Mary Ward, la première personne tuée par une automobile en 1869, à cela prêt qu’à l’époque cette voiture était pilotée. La mort d’Elaine n’est comparable à rien. Elle est le fait d’une IA inefficiente. Ou pas, si on se place dans un contexte de science-fiction. Peut-être qu’Elaine, une fois rentrée chez elle, s’apprêtait à écrire le texte qui mettrait le frein aux développements des IA et que ces mêmes IA, voyageant dans le passé, comme dans Terminator, ont éliminé Elaine pour que leur fin n’advienne pas avant leur avènement. Jouer avec ces idées, c’est oublier Elaine, la personne qu’elle était. À ce jour, 640 North Mille Avenue, aucune fleur ne commémore sa mort. Il ne reste peut-être pour vraiment connaître Elaine qu’à contacter ses amis.
Ils ont dû voir et revoir les images captées par les caméras du robot, sombres, qui ne laissent deviner les basquets blancs d’Elaine que 1,4 seconde avant l’impact. Puis, ils ont vu les images tournées les nuits suivantes par des youtubeurs, où cette fois on a l’impression d’être en plein jour sur North Mille Avenue. Elaine y voyait donc clairement elle aussi et elle n’a sans doute jamais pensé que la voiture qu’elle devinait au loin lui foncerait droit dessus sans ralentir ou changer de voie. Voilà pourquoi elle ne réagit pas. Ce qui lui est arrivé, de son point de vue, était impensable.
Dans la communauté des SDF de Tempe, Elaine était surnommée « Elle » ou « Ms. Elle ». Son ami SDF, Benjamin Jeffrey, lui même ancien chauffeur Uber, dit qu’il n’aurait jamais imaginé que le destin d’Elaine et celui d’Uber entreraient en collision. Il parle d’elle/Elle avec émotion. « Elle était la tante de tout le monde. Elle s’occupait des gens dont personne ne voulait s’occuper. Elle gardait toujours son sang-froid. » Exactement comme quand elle a traversé l’avenue.
Un autre ami SDF, Kriss Kidd, vivant dans un campement à proximité du lieu du drame, sans doute les bicoques vues sur les images satellites, ajoute : « Elle avait un si grand cœur qu’elle tentait d’aider autant de gens qu’elle pouvait. Elle nous donnait de l’espoir. C’était une battante. Elle ne voulait plus vivre dehors. Plus vous restez dehors longtemps, plus la rue a de chance de vous manger. »