Ma drogue : la lumière
Ma drogue : la lumière

Tout le monde tape sur Internet, tout le monde l’accuse de tous les maux, ce serait d’après Hubert Guillaud une tentation du bouc émissaire, un peu comme avec les étrangers qui seraient responsables de nos affres sociétaux alors que de nombreuses études démontrent que l’afflux d’étrangers est une richesse. Toujours d’après Hubert, Internet ne ferait que mettre en évidence des maux préexistants. Point barre.

Hubert évoque ma déconnexion de 2011. « Mais trop souvent on l’accuse sans preuve (Internet), on l’accuse à la place d’un autre. Dans J’ai débranché, Thierry Crouzet par exemple, semble désigner l’accoutumance au réseau comme une cause, plutôt qu’une conséquence. Alors qu’à le lire, il semble plutôt que ce soit son anxiété et son rapport à lui-même qui l’ont mené à des comportements compulsifs et excessifs. »

Hubert voudrait en quelque sorte parler de l’œuf sans parler de la poule ou inversement. Ça n’a aucun sens. Dans mon cas, bien sûr il y avait un problème avec moi-même, et ce problème est clairement identifié dans mon livre. Il n’est pas caché, et tout mon travail a été de le mettre à jour (prise de conscience notamment lors d’une séance de massage à Genève). La conclusion : je n’ai jamais été accro au Net, je n’ai jamais été dépendant au sens médical, cette dépendance n’existe même pas (cela est clairement dit, dès 2011, beaucoup de gens me l’ont reproché, ont été déçus justement parce que je ne vouais pas Internet aux enfers). On ne peut pas m’accuser de voir dans Internet un bouc émissaire de quoi que ce soit.

Reste que le Net a permis de faire émerger un problème chez moi, ou à l’amplifier. Peu importe, c’est avec le Net, par le Net, que j’ai durant les années 2000-2010 déconnecté mon esprit de mon corps. Ça aurait pu se passer avec l’alcool, la coke, le jeu… certes, mais c’est avec le Net que ça s’est passé, alors il est intéressant de se demander pourquoi avec lui, surtout pourquoi avec les réseaux sociaux.

Quand les médecins s’intéressent à l’addiction, ils s’intéressent aussi à la drogue, à comment elle agit, et même ils s’efforcent de faire en sorte que ceux qui continuent de se droguer puissent le faire dans des conditions sanitaires satisfaisantes pour que leurs pratiques ne leur apportent pas d’autres problèmes, comme des infections, qui par ailleurs peuvent affecter l’ensemble de la société.

Quand des enfants passent trop de temps devant leurs écrans, on ne peut pas simplement accuser les enfants et leurs parents et la société dans son ensemble. Les écrans font partie du problème, notamment parce que les développeurs d’applications ont pour but de construire l’addiction (et parce la technologie leur en donne la possibilité). Alors, oui, ce problème est causé par nous autres humains et nous concerne nous, mais comment pourrait-il en être autrement puisque nous sommes à l’origine de toutes nos technologies ?

Il est donc plus qu’intéressant de se demander pourquoi telle ou telle technologie facilite tel ou tel comportement, du côté des usagers comme des développeurs comme les financiers. Autant les réflexions théoriques sur la technique dans son ensemble ne m’ont jamais passionné, autant il me semble vital de questionner les cas particuliers, Internet étant désormais d’ailleurs un cas trop vaste pour le traiter en bloc.

On a jeté Internet dans le monde, toute l’histoire du monde a désormais rapport à Internet. On ne peut plus défaire cette boucle de feedback, empêcher que les poules pondent des œufs qui donnent de nouvelles poules. Toute réflexion sur nos maux implique de prendre en compte tous les paramètres, la qualité de l’air, qu’elle aussi on accuse de bien des maux, Internet également, puisque nous y passons désormais plus de temps que partout ailleurs.

Internet n’est pas la cause de nos maux, mais il en fait partie. Je dis cela d’autant plus calmement qu’Internet ne me passionne plus. Mais ne soyons pas dupes. Internet est partout et donc il est difficile dans les propos des uns et des autres de ne pas déceler de l’impartialité ou de la partialité, tant bien même elle est inconsciente. Un journaliste du monde papier a tout intérêt à conspuer le Net pendant qu’un pure player a tout intérêt à le défendre. Personne n’est net dans cette affaire. La critique d’Internet est devenue un business, avec la mode du détox et autres conichonneries, dont je me tiens à l’écart, même si malgré moi j’ai participé à sa naissance (ainsi un problème qui n’était peut-être que le mien devient un problème plus général).