Vendredi 1er, Malte

Coup de foudre pour La Valette, ville avec une multitude de perspectives sur la mer et les ports qui entourent sa presqu’île. Une ville musée, une ville orthonormée, mais une ville qu’il faut explorer, en prenant le temps que seuls possèdent ses familiers. Peut-être qu’il y a trop de touristes, trop de passage, reste que j’aimerais y revenir, y traîner pour y écrire, ce que je n’ai pas fait, la tête prise en étaux par notre projet d’expatriation d’un an.

Dimanche 3, Balaruc

Le financement participatif de L’affaire Deluze est à 300 %.

Mardi 5, Balaruc

Dans Wired for Story, Lisa Cron met en garde contre la tentation de l’éditorialisation. Par exemple, plutôt que d’écrire une scène rigolote, dire qu’elle est rigolote. Ou plutôt que de dire le héros vient de vivre un moment formidable, raconter ce moment et laisser le lecteur en juger (affronter la difficulté). Tous les auteurs savent qu’il faut éviter ces pièges, mais ça peut être plus subtil. Par exemple, dans mon roman d’amour, j’ai écrit « Caro fronce les sourcils, attendant une explication plus convaincante. » Voici un exemple d’éditorialisation mal venue. Cet « attendant une explication plus convaincante » vient du ciel, il n’est n’y le fait de Caro, n’y du narrateur qui discute avec elle. J’ai donc réécrit, restant dans le registre du langage corporel : « Caro fronce les sourcils, hoche la tête plusieurs fois vers moi. » Lisa Cron explique que l’éditorialisation arrache le lecteur de l’histoire. Un simple point d’exclamation est selon elle de l’éditorialisation. L’exclamation doit être perceptible dans le texte, dans le contexte. Autre exemple d’éditorialisation : mettre les pensées des personnages en italique.

Jeudi 7, Balaruc

Passage coupé de mon roman d’amour. C’est l’histoire d’un écrivain, mais ce n’est pas le lieu de trop parler du métier. « Je ne travaillerais pas avec assez de passion. Et alors ? Je n’aime pas cette idée d’un art excessif pour lequel on sacrifie tout. L’artiste n’a pas à être un débauché, un ivrogne, un drogué. À partir de la tranquillité extrême, il peut faire jaillir la beauté. Mais Émilie m’a-t-elle dit le contraire ? Et si l’adultère était une sorte de drogue que je n’ose pas prendre de peur qu’elle me fasse découvrir une nouvelle réalité ? Émilie m’a aussi dit que j’étais un mauvais descendeur. Elle a raison, j’ai toujours détesté le ski. Il me paraît stupide de se jeter du haut d’une falaise au risque de se rompre le corps. Je n’aime pas ce genre de sensations fortes. Peut-être que j’ai peur des choses extrêmes. C’est ça qu’elle veut dire ? Elle me suggère de vivre à fond. De séparer ma vie de mes créations. C’est absurde. Vie et création sont liées depuis la nuit des temps. Selon elle, si je la comprends, je pourrais vivre créativement. Mais non, j’ai besoin de l’écriture pour stimuler ma créativité. Je ne mélange rien. Il n’y a aucun dilemme. »

Vendredi 8, Balaruc

Dans son chapitre 4, Lisa Cron explique que le protagoniste d’une histoire doit avoir un agenda.

The driving question is: what would it cost, emotionally, to achieve that goal?

Dans mon roman, pour écrire son best-seller, mon héros pense qu’il doit tromper sa femme qu’il aime. Ça va donc lui coûter très cher émotionnellement, peut-être trop cher.

If you don’t provide your protagonist with a driving deep-seated need that he believes his quest will fulfill, the things that happen will feel random.

Si le protagoniste n’a pas de but, il est impossible de lier les évènements de la trame narrative et le récit perd toute intelligibilité. Lisa Cron précise :

It’s like watching football with no idea what the rules are.

Perso, j’adorerais voir un match de foot sans en connaître les règles et jouer justement à les reconstruire.

Simply knowing that Wanda wants a boyfriend real bad isn’t enough. We also have to know why and what issue she needs to come to grips with before she can succeed.

Pourquoi mon héros veut-il écrire un best-seller ? Au-delà du succès qu’il appelle, il veut que ses enfants l’admirent, que sa femme le respecte, il veut exister au regard des autres, il ne veut plus être un loser, il veut vivre intensément, pleinement, en se respectant.

Dans tous les romans réussis, le protagoniste se retrouverait avec deux buts, l’un interne, vivre pleinement dans le respect de lui-même, l’autre externe, publier un best-seller et connaître la gloire. Les deux buts finissent souvent par se rencontrer.

Lisa Cron explique qu’un protagoniste lancé dans une histoire parce qu’il lui arrive quelque chose, genre un accident, ne fait pas une bonne histoire, parce que le double but du protagoniste n’est pas profondément ancré en lui, antérieurement au début de l’histoire.

We care passionately about what your protagonist would do—as long as we know why.

D’où la nécessité d’expliciter les buts interne et externe assez vite dès le début, ce qui est le cas dès le premier paragraphe de mon roman.

Lisa Cron termine son chapitre par une check-list.

Do you know what your protagonist wants? What does she desire most? What is her agenda, her raison d’être?

Mon héros veut éprouver des émotions fortes. Il veut se sentir vivre. Il veut s’arracher à l’ordinaire de sa vie ennuyeuse. Il ne veut plus vivre par procuration. Ses désirs sont universels. Les lecteurs peuvent les comprendre et les partager.

Do you know why your protagonist wants what he wants? What does achieving his goal mean to him, specifically? Do you know why? In short, what’s his motivation?

Prisonnier de la normalité, il ne ressent plus rien. Il doit changer quelque chose dans sa vie pour se remettre en route.

Do you know what your protagonist’s external goal is? What specific goal does his desire catapult him toward? Beware of simply shoving him into a generic “bad situation” just to see what he will do. Remember, achieving his goal must fulfill a longstanding need or desire—and force him to face a deep-seated fear in the process.

Écrire un best-seller.

Do you know what your protagonist’s internal goal is? One way of arriving at this is to ask yourself, What does achieving her external goal mean to her? How does she think it will affect how she sees herself? What does she think it will say about her? Is she right? Or is her internal goal at odds with her external goal?

Il veut s’aimer et que les autres l’aiment (reformulation du but interne)

Does your protagonist’s goal force her to face a specific longstanding problem or fear? What secret terror must she face to get there? What deeply held belief will she have to question? What has she spent her whole life avoiding that she now must either look straight in the eye or wave the white flag of defeat? »

Interroger son rapport à sa femme, aux femmes en général, à pondérer la valeur de l’amour, de la fidélité. Interroger sa position dans le monde, passer du rôle de spectateur à celui d’acteur.

Samedi 9, Balaruc

Neil Jomunsi s’interroge sur le temps nécessaire à la création. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une question de temps, mais plutôt d’énergie. Quand j’ai de l’énergie, je trouve toujours le temps. Et quand j’en manque, j’ai beau avoir du temps, je n’écris rien de bon. Voilà pourquoi je fais du sport, c’est une façon de me charger en énergie, même si ça me prend beaucoup de temps.

Dimanche 10, Balaruc

Je suis sorti de l’époque où je croyais que je n’aurais jamais assez de temps pour dire tout ce que j’avais à dire. Peut-être que je peux enfin prendre mon temps pour dire peu de choses, mais bien.

Lundi 11, Balaruc

Orage
Orage
Orage
Orage

Vendredi 15, Balaruc

À la radio ce matin, un conseiller philosophe et économiste de notre Président se moque du revenu de base qu’il décrit comme donner de l’argent aux gens gratuitement. N’est-ce pas ce qui est fait avec les banques ? Monsieur, on ne peut pas être pour un principe quand ça arrange, contre quand ça dérange. Soit on donne à tous, soit on ne donne à personne. Moi, je suis contre le revenu de base comme redistribution, mais pour celui qui consiste à distribuer entre tous la création monétaire.

Lundi 18, Balaruc

Fin de la campagne de financement de L’Affaire Deluze. Presque 44 000 € récoltés. Le jeu de rôle est plus populaire que la littérature. Mais c’est de la littérature, ce dont encore peu de gens sont conscients.

Mardi 19, Balaruc

C’est étrange le désir de plaire. J’ai été plus ou moins épargné, surtout dans l’écriture. J’ai envie que mes lecteurs aiment mes textes, mais je n’ai pas envie d’écrire pour leur plaire. J’écris ce qui me paraît beau ou important et j’espère que tout cela touchera en l’état. Dans mon histoire d’amour, Jim, mon copain bédéiste directeur de collection, transforme le récit pour qu’il plaise. C’est un exercice intéressant du point de vue de la mécanique narrative, très loin de mes pratiques habituelles.

Mercredi 20, Balaruc

Pas de contact avec l’extérieur, sinon avec mes amis, mes éditeurs. Je ne reçois pas de mail, je n’interagis pas sur le Net, comme si j’étais retourné dans le monde d’avant, sans que je puisse me satisfaire de cette situation puisque je ressens un vide, une absence, mais qui, quand elle se transforme en présence, n’est pas non plus satisfaisante. Notre départ probable pour la Floride en août me met en sursis. De quoi ? Je n’en sais rien.

Jeudi 21, Balaruc

Une impression de fin de cycle (même si je ne crois pas à la théorie des cycles en histoire). Je boucle trois projets, L’Affaire Deluze, après trente ans, et mes deux romans à paraître l’année prochaine. Après ? Peut-être une nouvelle contribution à l’hygiène hospitalière. Pour me rendre utile, pour faire de l’humanitaire à ma façon. Mais aucune envie plus profonde, sinon voir, ressentir. Mon goût pour la pratique contemplative de la littérature me guide inexorablement vers une forme d’épicurisme. Des mots pour voir. Alors, voir les auteurs se syndiquer, manifester comme des travailleurs ordinaires, je ne peux pas comprendre. Ils n’habitent pas la même galaxie que moi, d’autant qu’ils passent souvent plus de temps à leur activité politique qu’à leur art, se persuadant que par cette activité politique ils sont auteurs, comme les jeunes artistes s’affirment artistes juste par leur look.

Vendredi 22, Balaruc

Je boucle la seconde version de mon histoire d’amour dont le titre pourrait être Best-seller, puisque le but externe du héros est d’écrire un best-seller.


Étrange journée. Tim s’en va passer une semaine chez ses cousins à Paris. Il devra s’approprier de nombreux trajets dans la ville, pour se rendre à son stage de fin de quatrième. C’est un peu comme laisser la cage de l’oiseau ouverte. En même temps, le labrador de mon père, le chien que Tim et Émile ont toujours connu, a un cancer, il ne mange plus, ma mère et Émile vont le conduire à l’euthanasie, et c’est comme si mon père mourait une seconde fois, parce que ce chien lui était attaché.

Samedi 23, Balaruc

Lassitude du Net de plus en plus irrémédiable. Je n’arrive plus à m’intéresser à ce truc, à ce que les gens y font, à ce que je pourrais y faire, j’ai dépassé depuis longtemps l’usage compulsif. En même temps, j’ai perdu l’espoir que nous changerions le monde, je veux dire en l’espace d’un instant, le monde change un peu partout, à son rythme et pas à celui de nos désirs, donc autant les placer ailleurs, dans ce qui est de l’ordre de l’accessible, éventuellement, dans les petites choses, les petits gestes.

De fait, Internet m’ennuie autant que la TV. Impression d’être revenu à une époque antérieure, disons à la fin des années 1990, quand Internet n’était encore qu’une base de données, un dictionnaire dans lequel je puisais, mais auquel je ne contribuais pas, ou peu.

Désormais, quand je publie un billet sur mon blog, j’ai l’impression de taguer les murs d’un des tunnels que j’emprunte en VTT pour passer sous l’autoroute A9, un tunnel où seuls quelques dingues s’aventurent.

Ce geste ne me paraît pas dérisoire, pas plus que discuter avec des amis ou même des inconnus, mais il a perdu toute ambition d’audience. Pas étonnant que je consacre mon temps à des livres, qui dans leur forme doivent peu au numérique, sinon leur mode narratif peut-être.

Je ne centre plus ma pensée autour du Net. Je ne cherche plus à œuvrer grâce au Net ou à travers lui. Peut-être parce que je n’ai pas embrassé de nouveaux formats plus adaptés aux modes consommations actuels ? Oui, peut-être que j’aurais dû me mettre à la vidéo… mais non, je n’aime pas les vidéos des autres, j’aime le temps long de la contemplation, le temps de la lecture, de l’écriture, j’aime cette sensation des phrases qui m’échappent peu à peu, en même temps que des bouffées de lumière me parviennent par la grande fenêtre de mon bureau ouverte sur le bleu de l’étang et du ciel.

Tout ce que je vois sur le Net est marketing. Tout le monde, absolument tout le monde, cherche à se vendre. Ça me dégoûte. Je n’échappe pas à ce travers, raison de plus pour me faire discret.

Notre port
Notre port

Dimanche 24, Balaruc

Chose à écrire grâce au Net. Par exemple, un livre jeu d’aventure. Où à la fin de petits chapitres, les lecteurs voteraient pour la suite. Mais est-ce une envie réelle ? En l’absence de réponse, je cours et je jardine. Je termine aussi la lecture de Born to run, un livre culte pour tous ceux qui aiment les sports d’endurance, et donc qui devrait intéresser aussi les écrivains, du moins ceux qui se lancent dans de gros machins.

Lundi 25, Balaruc

Je ne fais rien ce matin, je traîne, ce qui ne m’est pas habituel. Une soudaine inappétence, peut-être après trop de travail. Je sais que ces périodes de doute sont aussi des périodes de lucidité et qu’elles préparent la suite, mais je n’aime guère ces post-partum.


Mon Mac vieillit et Apple n’a toujours pas annoncé une prochaine génération de machines qui pourraient me convenir, notamment avec un clavier digne de ce nom. Le monde Windows me fait à nouveau de l’œil. Mais, hier, j’ai testé IA Writer, encore une fois. Je pourrais me contenter de cet éditeur de texte, mais il n’est pas à la hauteur Ulysses, même si Ulysses aussi commence à me lasser, ses promoteurs étant incapables de lui ajouter les fonctions indispensables aux écrivains, comme le suivi des corrections. C’est vraiment un outil de production, pas de publication.

Jeudi 28, Balaruc

Partir un an à l’étranger, échanger sa maison, implique une montagne de détails à régler, c’est parfois paralysant, parfois décourageant, surtout la petite incertitude, car il suffirait d’un problème de visa pour que notre château de cartes s’effondre.

Sous prétexte de s’être globalisé grâce à Internet, certaines choses hier simples, parce qu’on les réglait au téléphone, sont aujourd’hui quasi impossibles. Par exemple, nous avons besoin de recevoir un SMS avec le code d’accès de notre banque US, sauf que ce SMS n’arrive pas sur les numéros français. J’ai tenté des dizaines de solutions, comme les sites de portage de numéros, sans en trouver une qui fonctionne. C’est à devenir fou. La technologie ajoute de la complication à la bureaucratie et ne simplifie rien.

Hier, Jim a validé la seconde version de mon roman d’amour. Nous attendons maintenant l’avis de l’éditeur. C’est étrange, mais j’aime plutôt ce texte, qui me paraît davantage de moi que Résistants, parce que finalement je n’y ai fait aucune concession. Jim m’a poussé à prolonger beaucoup de scènes au-delà du point où je les avais arrêtées, toujours apportant des idées, souvent très drôles, dans lesquelles je me suis engouffré avec plaisir.

Je suis bien conscient que je n’aurais pas écrit ce roman seul. Par exemple, quand une femme s’assoit par erreur en face de Ben, mon héros, il lui dit qu’il aurait aimé être le bon gars. Et ça s’arrête là. Jim me dit que Ben pourrait se faire passer pour l’autre gars. Je me suis bien amusé à écrire ce passage.

C’est la première fois que je travaille avec un directeur de collection créatif. Ça fait un bien fou. Quand le manuscrit revient, je ris beaucoup, je vois tout de suite ce que je pourrais faire pour répondre aux attentes de Jim et ça avance, bien et vite. D’habitude, ça pinaille sur des détails, mais jamais sur ce qui compte pour les lecteurs. J’ai beaucoup appris. Aussi que la solitude de l’autoédition nous limite au lieu de nous grandir. Nous avons besoin de collaborer pour nous dépasser.

Il est vrai que les collaborations positives sont rares dans l’édition traditionnelle, mais déjà bien plus nombreuses que sur le Net, où tout le monde rivalise pour s’accaparer un peu d’attention. L’auto-édition restera un faute de mieux, sauf pour les récits très intimes, comme ce journal, où aucun éditeur n’a à mette son nez.

Photo Visa
Photo Visa

Vendredi 29, Balaruc

Idée de titre : La sérénité de l’énervé. Mais je ne vois pas trop ce que je pourrais écrire au sujet de cet oxymore.


Après une belle promo de Bragelonne, Résistants numéro un des ventes sur Amazon. Je capture l’écran, parce que ça ne va pas durer.

Résistants dans le top
Résistants dans le top

À 15 heures, Résistants est tombé en deuxième place, tout cela prouve combien le marketing pèse dans le monde numérique. Pour moi qui rêvais d’une société horizontale, ça fait mal.

Samedi 30, Balaruc

Résistants en quatrième position chez Amazon. Le panurgisme est effrayant.