Tout a commencé par un mal aux fesses récurrent. Un copain m’a dit « change de selle, moi ça m’a changé la vie. » Je l’ai écouté. Dans une boutique de vélo, je me suis assis sur un siège électronique qui a mesuré ma distance entre ischions, les deux os au contact de la selle, puis le vendeur m’a conseillé une selle, une Specialized Power, qui a tout de suite amélioré mon fondement de cycliste.
Je n’étais pas encore assis dans un fauteuil, mais plus rien ne m’empêchait d’enchaîner plusieurs journées à vélo. À force de crémage, je m’en tirais plus ou moins bien. J’avais aussi souvent mal aux cervicales. J’ai relevé ma potence, j’avais moins mal, mais c’était loin d’être parfait. Plus je roulais, plus je me disais qu’une étude posturale s’imposait. Mais j’ai découvert un truc pour réduire de beaucoup mon mal aux cervicales : j’ai enlevé la visière de mon casque VTT. Mon champ de vision s’est élargi, j’ai moins relevé la tête, et j’ai oublié l’étude posturale.
Parfois un copain de derrière moi me donnait un conseil. « Monte ta selle, recule là, repositionne tes manettes de frein. » Peu à peu, j’ai découvert une position confortable, mais qui n’effaçait pas toutes les tensions. Habitué à courir, je me disais qu’il était normal d’avoir des douleurs, même à vélo.
Une fois arrivé en Floride, je me suis mis au gravel. Mon temps de selle s’est accru et de nouvelles douleurs ont surgi, notamment des fourmis dans les mains et des tensions dans les épaules. Rien de pénalisant, j’ai continué à rouler trois ou quatre fois par semaine jusqu’à ce que je ressente des douleurs aux genoux. J’ai tout de suite été sur mes gardes. J’ai pratiquement arrêté de courir à cause d’un syndrome de l’essuie-glace et le vélo était en train de le réveiller.
Je connaissais la théorie : « Mal au-dessus des genoux, selle trop basse, mal au-dessous, selle trop haute. » Mais monter la selle de combien ? L’avancer de combien ? La reculer de combien ? Ajuster les cales sous mes chaussures ? Il y avait beaucoup trop de possibilités pour que j’expérimente au hasard. J’ai effectué des recherches, lu beaucoup de conseils, souvent contradictoires, jusqu’à tomber sur la chaîne YouTube de John Weirath. Je peux parler d’une révélation. J’ai regardé et regardé les vidéos de John. Si j’avais habité près de chez lui, dans le Colorado, j’aurai couru lui demander de me faire une étude posturale.
J’ai dû voir dix fois sa vidéo sur le genou. John explique pourquoi nous avons souvent mal aux genoux à vélo. Si notre selle n’est pas assez haute, nous plions trop la jambe quand la pédale se trouve à 12 heures et risquons d’échauffer tendons et cartilages. L’angle idéal de la jambe et du genou serait autour de 65° ; moins, la selle est trop basse ; plus, elle risque d’être trop haute.
Mais comment mesurer cet angle ? John explique qu’une mesure statique est impossible. Il faut pédaler et être filmé, puis analyser les images. Dans l’idéal, il faut disposer d’un home-trainer et d’un téléphone capable de filmer en slow motion. Rien de plus. Sauf qu’en Floride je n’ai pas de home-trainer. J’ai donc demandé à ma femme de me filmer alors que je roulais devant la maison. Grâce à un service web conseillé par John, j’ai commencé à analyser ma posture.
L’angle de ma jambe était de 62,3°, j’ai donc remonté la selle d’un bon centimètre pour aboutir à un angle supérieur, je n’ai jamais réussi à tomber sur 65°. Mais cet angle n’est qu’un des multiples paramètres évoqués par John. Toujours dans la position pédale à 12 heures, le pied doit être incliné entre 15° et 35°, les pros allant jusqu’à 40°.
John évoque un autre angle fondamental : pédale positionnée à 6 heures, l’angle d’ouverture du genou doit être compris entre 34° et 48° (et non entre 25° et 35° comme beaucoup le pensent). Plus la selle est haute, plus cet angle se réduit. À ce stade, il ne faut pas oublier que reculer la selle revient à la rehausser, car la distance de la partie la plus large de la selle avec l’axe du pédalier augmente. Donc pour ajuster les angles, il faut en même temps jouer sur hauteur et position horizontale. Ainsi de suite, film après film, j’ai réussi à contenir mes douleurs aux genoux.
Autre conseil judicieux de John : sur un vélo de course ou gravel, aligner l’avant-bras sur le troisième métacarpe de la main quand elle est posée sur les cocottes. J’ai fait pivoter mon cintre de quelques degrés vers le haut et les fourmis ont disparu du jour au lendemain.
À ce stade, j’avais compris trois choses.
- On commence par régler ses chaussures.
- On positionne la selle en hauteur et d’avant en arrière. En théorie, on aboutit à un réglage valable pour tous les vélos. Il définit notre position de pédalage optimale en termes de performance et de confort. Pour une selle donnée, cette position est décrite par deux valeurs : la distance horizontale entre le nez de la selle et l’axe du pédalier (saddle fore-aft), la hauteur de la selle, mesurée par exemple entre l’axe du pédalier et le milieu de la selle (ou évaluée verticalement, ligne pointillée sur image ci-dessous).
- On termine par le guidon, sachant que plus on penche vers lui, plus on relâche la pression sur notre dos et sollicite nos bras, épaules et cervicales. J’ai passé l’âge de l’aérodynamique, d’où m’a position redressée.
Sur mon gravel, j’ai abouti un fore-aft de 100 mm et une hauteur de 75 cm. Je me sentais mieux, même si ce n’était pas encore parfait. J’ai transposé ces réglages sur le VTT rigide que j’utilise pour le bikepacking. J’ai enchaîné deux raids sans autre problème qu’une irritation à la fesse gauche, assez gênante pour me dire qu’il était temps de consulter un spécialiste. Au cours d’une balade, un copain m’a conseillé de contacter Dwayne Adams, selon lui le meilleur bike fitter de Miami. J’ai donc pris rendez-vous avec lui.
La séance a duré trois bonnes heures.
Étape 1 Dwayne m’a interrogé sur ma pratique et mon but (le confort avant tout). Puis, il a étudié mon corps, ma souplesse, il a mesuré mon entrejambe (inseam), ma distance entre ischions. Il en a déduit que j’étais dans la moyenne, donc du genre client simple.
Étape 2 Dwayne a observé mes pieds, constatant que j’étais pronateur, ce qui parfois exige des semelles sur mesure. Il a évalué l’angle de l’articulation de mon pied par rapport à l’axe du pied. En théorie, pour un maximum de puissance, l’axe de la pédale coupe l’articulation en son milieu. Chez moi, l’angle est faible. Verticalement, entre l’articulation du gros orteil et celle du petit orteil (entre les deux bosses latérales), il n’y a qu’un centimètre. Les clips sous les pédales devront donc être reculés de 5 mm par rapport à l’articulation du gros orteil. Dwayne a utilisé le kit TP1 d’Ergon pour ajuster les cales (sachant que les miennes étaient quasiment bien réglées).
Dans l’idéal, un bike fitter doit disposer de semelles avec des capteurs de pression, de façon à pouvoir régler les clips pour une transmission de puissance optimale. En tant que client standard, je me suis dit qu’une méthode standard me convenait, d’autant que je n’ai jamais trop souffert des pieds, même lors de très longues sorties. Il me suffit de ne pas trop serrer mes chaussures.
Reste que j’ai trouvé Dwayne très sûr de lui sur ce coup. John répète qu’il n’existe pas de réglage standard. En cas de tension au mollet ou au tendon d’Achille, on doit reculer la cale vers le talon. En cas de douleur à la voûte plantaire, on doit au contraire l’avancer. Dwayne m’a positionné au milieu, ce qui serait judicieux dans le cas d’un client standard. Après quelques sorties, j’ai dû revenir sur ce réglage, à cause d’une sensation désagréable au tendon d’Achille. Avec 3 ou 4 millimètres de plus en arrière, je m’en suis trouvé bien mieux (comme quoi la théorie, ça ne vaut pas grand chose).
Étape 4 Tout en me filmant en slow motion, Dwayne a progressivement ajusté la hauteur et la position de la selle, jusqu’à ce que tous les paramètres évalués soient dans le vert.
Le lendemain, j’étais sur les levees avec mon gravel. J’avais l’impression d’avoir un nouveau vélo, alors qu’uniquement le fore-aft et l’inclinaison de la selle avaient changé. Résultat : absolument plus aucune douleur aux fesses. Dix jours plus tard, je ne peux que confirmer les choix de Dwayne. Côté genoux, c’est correct, sans plus (j’ai peut-être besoin d’un break pour reposer les tensions accumulées).
Alors faut-il payer ? Avec un home-trainer et un peu de patience, on peut arriver à un résultat plus que correct. Pour aller plus loin, pour aller dans la physiologie, il faut consulter un bike fitter du calibre de John Weirath, un bike fitter kiné. Il faut aussi s’écouter, ne prendre aucun réglage pour définitif, il faut donc comprendre les différentes mesures et s’autoriser à la faire évoluer.
Je n’en ai pas fini d’apprendre des trucs sur le vélo.